Comprendre et contester un arrêté d’extension de CVO en tant que vigneron

15/10/2025

Éclairages sur la Contribution Volontaire Obligatoire (CVO) : un mécanisme loin d’être anodin

La Contribution Volontaire Obligatoire, familièrement appelée CVO, est une réalité administrative que tout acteur du vin connaît, parfois trop bien. Depuis sa légitimation par la loi (notamment l’article L. 632-6 du Code rural), la CVO est utilisée par les interprofessions vitivinicoles pour financer des actions collectives : promotion, recherche, défense des appellations, veille économique…

Cependant, derrière ce sigle se cache une mécanique qui pèse de plus en plus lourd. En 2022, l’ensemble des interprofessions viticoles françaises ont collecté près de 88 millions d’euros via la CVO selon FranceAgriMer. Le souci, ce n’est pas l’objectif affiché, mais la manière : un “accord interprofessionnel” qui devient obligatoire pour tous par arrêté d’extension ministériel, même si l’on n’est pas adhérent, même si l’on n’a pas été consulté. Et dans un contexte d’instabilité économique persistante, chaque euro imposé fait débat.

D’où la question pragmatique : peut-on vraiment contester un arrêté d’extension de CVO ? La réponse n’est pas binaire, mais il existe bel et bien des recours, balisés mais souvent méconnus, pour ne pas subir ces décisions en silence.

Extension d’un accord interprofessionnel : quelle portée, quelle procédure ?

Avant d’entrer dans le vif des possibilités concrètes de recours, il est crucial de saisir comment un simple accord interprofessionnel devient, par l’extension, une disposition applicable à l’ensemble d’une filière.

  • Accord interprofessionnel : Conclu entre organisations professionnelles représentatives au sein d’une interprofession (ex : le CIVB à Bordeaux, Inter Rhône dans la Vallée du Rhône).
  • Demande d’extension : Si l’accord a vocation à s’appliquer à tous, pas seulement aux adhérents, une demande est déposée auprès du ministère de l’Agriculture (appuyé par l’INAO le cas échéant).
  • Instruction et extension : Après contrôle de légalité (forme, représentativité des signataires, objet…), le ministre peut “étendre” cet accord par arrêté publié au Journal Officiel. La CVO devient alors une obligation pour tous les opérateurs concernés, y compris les non-membres.

Autrement dit : l’extension transforme un accord entre quelques-uns en une véritable taxe privée applicable à tous les acteurs de l’appellation ou du bassin considéré, conditionnée par la volonté politique et la conformité au droit. Ce passage ne se fait pas sans garde-fous, même si la communication institutionnelle les mentionne rarement.

Sur quels fondements peut-on contester un arrêté d’extension de CVO ?

La légalité d’un arrêté d’extension de CVO n’est jamais absolue, car il s’agit d’un acte administratif individuel qui ne peut s’affranchir du contrôle du juge. Les motifs de contestation devant les juridictions administratives sont encadrés :

  • Défaut de représentativité : L’interprofession signataire représente-t-elle réellement la diversité et le poids économique de la filière ? Une carence manifeste sur ce critère peut entraîner l’illégalité de l’arrêté.
  • Objet non conforme : La CVO doit servir des missions d’intérêt collectif (études, promotion, défense des produits). Son usage pour financer des actions partisanes, du lobbying ou des opérations sans lien avec l’intérêt général du secteur pourrait être attaqué (CE, 8 octobre 2014, n°364460).
  • Proportionnalité de la CVO : Le montant et la répartition de la CVO doivent être justes et respecter l’équité entre opérateurs. Un niveau anormalement élevé ou injustement discriminant (notamment sur les petits opérateurs) pourrait être sanctionné.
  • Vices de procédure : Absence de véritable consultation, défaut de publicité ou d’information, irrégularités dans la promulgation de l’accord ou de l’arrêté d’extension.

Ces arguments ont été soulevés dans divers contentieux, et bien que les juridictions soient exigeantes (le Conseil d’État a tendance à valider la majorité des arrêtés, considérant la CVO comme légitime en soi), il existe des cas où la justice a censuré des extensions, notamment sur la représentativité ou l’objet détourné.

Procédure de recours : calendrier et modalités concrètes

L’arrêté d’extension de la CVO est, par nature, un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif compétent. La démarche n’est pas “réservée” aux syndicats ou aux grandes entreprises : tout opérateur qui démontre un intérêt à agir, c’est-à-dire qui est astreint au paiement de la CVO, peut engager la démarche.

  1. Délai : Le recours doit être déposé dans un délai de deux mois à compter de la publication de l’arrêté au Journal Officiel (art. R.421-1 du CJA).
  2. Forme : Le recours doit être écrit, motivé en droit et en fait, et adressé au greffe du tribunal administratif. Il est recommandé de notifier simultanément l’interprofession concernée.
  3. Arguments : Il faut fonder le recours sur des moyens précis (exemples ci-dessus) : illégalité externe (procédure), illégalité interne (fond, mission, proportionnalité)
  4. Demande éventuelle de suspension : En cas d’urgence et de doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté, une demande de suspension (référé suspension, art. L.521-1 du CJA) peut être déposée en parallèle.
  5. Instruction : Le juge administratif sollicite les observations des parties et rend, dans un délai variable (de 6 à 18 mois), sa décision. Un appel est possible devant la cour administrative d’appel.

Il est à noter que les décisions du tribunal administratif concernent souvent l’ensemble des opérateurs et non le seul requérant. En pratique, un contentieux bien construit peut avoir un impact bien au-delà du vignoble du plaignant.

Précédents jurisprudentiels et chiffres-clés

Si la CVO a rarement été annulée dans son principe, la jurisprudence administrative témoigne d’une vigilance accrue sur la transparence et la régularité des procédures. Quelques chiffres et exemples parlants :

  • En 2018, la Fédération Nationale des Vins de l’IGP Val de Loire a obtenu du Conseil d’État (CE, 28 mars 2018, n°399231) l’annulation partielle d’un arrêté d’extension pour défaut de consultation suffisante des opérateurs hors interprofession.
  • Selon l’IFV, 5 recours contentieux majeurs sur la CVO ont été intentés entre 2015 et 2022, menés tantôt par des opérateurs individuels, tantôt par des unions de producteurs.
  • Le montant moyen des CVO, tous bassins cumulés, a augmenté de 26% en dix ans, alimentant la contestation mais aussi la vigilance de la justice sur la proportionnalité (FranceAgriMer, Observatoire des CVO 2023).

Cela démontre deux réalités : la contestation n’est pas marginale, mais les actions qui portent sont souvent collectives, construites et fondées sur la régularité de la procédure plus que sur des arguments de fond.

Limitations et effets d’un éventuel succès : que se passe-t-il en cas d’annulation ?

L’annulation, exceptionnelle mais possible, d’un arrêté d’extension peut avoir des effets immédiats :

  • Le paiement de la CVO devient illégal pour la période concernée. Les opérateurs peuvent demander le remboursement des sommes indûment prélevées.
  • L’interprofession doit revoir sa copie et adopter un nouvel accord, parfois après une consultation renforcée.
  • Le ministère, dans certains cas, adopte un nouvel arrêté en procédant aux régularisations requises, parfois dans un délai très court (cf. les cas du CIVL en Languedoc ou de Champagne au début des années 2010).

Dans tous les cas, l’effet pédagogique est réel, forçant les organismes et le ministère à respecter scrupuleusement la représentation de la diversité des opérateurs, la transparence et l’intérêt collectif.

Stratégies collectives face à la CVO : le poids du regroupement, l’importance de l’argumentation

Si la voie contentieuse individuelle existe, l’expérience montre qu’un recours collectif, coordonné et argumenté, a plus de chances de peser. En 2016, une action concertée d’une cinquantaine de vignerons indépendants du Bordelais, coordonnée avec l’appui de juristes spécialisés, a permis d’ajuster à la fois le montant et l’affectation d’une CVO jugée excessive. Ces mobilisations, relayées par certains médias professionnels (Vitisphère, La Vigne), rappellent que l’action juridique, solidement argumentée, peut amener les organismes à plus de concertation et d’écoute.

Par ailleurs, il est plus facile pour une organisation professionnelle (syndicat, Union de producteurs) de faire valoir la représentativité et l’intérêt à agir : les contentieux aboutissent rarement sur la seule revendication “le montant est trop élevé”, mais beaucoup plus fréquemment sur des irrégularités de procédure, sur le détournement d’objet ou la non-conformité au droit européen sur les aides d’État.

Regards sur l’avenir : enjeux d’information et de mobilisation

L’augmentation régulière du montant des CVO, dans un contexte économique tendu et face à des filières de plus en plus diversifiées (bio, nature, petits volumes), impose une veille constante. Face à une complexité croissante des arrêtés (le dernier de l’Inter Beaujolais en 2023 comptait plus de 18 pages d’obligations et de mécanismes), il est impératif d’être informé, organisé et prêt à agir collectivement.

La voie du recours n’est pas un parcours à prendre à la légère. Elle exige de la rigueur, un sens collectif et une bonne connaissance des mécanismes juridiques. Mais elle existe, elle est balisée, et elle rappelle que la voix de la vigne, lorsqu’elle s’exprime avec force et justesse, ne peut rester ignorée indéfiniment.

Pour aller plus loin :

  • FranceAgriMer - Observatoire des Contributions Interprofessionnelles (rapport 2023)
  • Conseil d’État, décisions contentieuses sur la CVO (bloc juridique)
  • Vitisphère, dossier “CVO et contestations”, mai 2022

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