Démêler l’extension des CVO : comprendre la mécanique et ses enjeux pour les vignerons

17/08/2025

À l’origine : qui est à la manœuvre pour demander l’extension d’une CVO ?

Initialement, la CVO est décidée à l’intérieur d’une interprofession, organisme reconnu par les pouvoirs publics, composé de représentants des différentes familles de la filière (producteurs, négociants, parfois coopératives). En France, on dénombre 17 organismes interprofessionnels dans le secteur vitivinicole (source : ministère de l’Agriculture).

La demande d’extension émane principalement de l’interprofession elle-même. Le conseil d’administration adopte un accord interprofessionnel encadrant la CVO à la majorité requise par ses statuts. Pour être recevable, cette décision d’extension doit démontrer un consensus significatif au sein des collèges représentés.Les producteurs individuels, les entreprises non membres de l’interprofession ou les syndicats viticoles extérieurs à l’instance ne sont pas à l’initiative directe de la procédure : seule l’interprofession, en tant qu’organisme juridiquement reconnu, saisit les pouvoirs publics pour demander l’extension de son accord.

Étapes décisives : le parcours d’une procédure d’extension

La transformation d’une CVO « volontaire » en CVO « obligatoire » suit un processus méticuleux, ponctué de contrôles et d’étapes précises :

  • Adoption de l’accord interprofessionnel : L’interprofession définit le montant, les modalités de recouvrement et l’affectation des CVO dans le cadre d’un accord pluriannuel ou annuel.
  • Demande d’extension : Transmission de la demande d’extension auprès de l’autorité administrative (ministère de l’Agriculture, parfois en co-décision avec le ministère de l’Économie).
  • Examen juridique par l’administration : Contrôle de la régularité procédurale, de la représentativité de l’interprofession (l’accord doit concerner une part « prédominante » de la filière), des modalités de l’accord et de sa conformité à la réglementation européenne (article 164 du règlement 1308/2013, dit OCM Unique).
  • Consultation éventuelle des parties prenantes : L’administration peut solliciter l’avis d’organismes extérieurs ou ouvrir une consultation auprès des familles professionnelles non représentées.
  • Rédaction et publication de l’arrêté d’extension : La décision ministérielle prend la forme d’un arrêté publié au Journal Officiel, rendant le paiement de la CVO obligatoire pour tous les opérateurs de la zone ou du produit concerné.

Cette chronologie, bien rodée, connaît parfois des délais variables, notamment si le dossier nécessite des allers-retours entre les services de l’État et l’interprofession, ou en cas de contestations.

Un arbitrage qui ne se fait pas sans l’État

Le ministère de l’Agriculture, progressivement épaulé par le ministère de l’Économie, agit comme « filtre » et garant de la régularité de l’accord. Un fait à ne pas sous-estimer : la décision n’est jamais automatique. Le ministère contrôle notamment :

  • La conformité de la procédure interne : Respect des statuts, quorum, délais de convocation.
  • La représentativité de l’interprofession : L’enjeu est majeur : une extension n’a de sens que si l’interprofession regroupe une « part significative » des opérateurs (producteurs : souvent supérieur à 70 % dans la région concernée, selon les données Inao).
  • La légalité et la proportionnalité de la cotisation : Contrôle de la non-discrimination entre opérateurs, justification des montants et des affectations.
  • La compatibilité avec le droit européen : L’extension ne doit pas favoriser de distorsion de concurrence (source : Règlement (UE) n° 1308/2013).

Le ministère dispose ainsi d’un pouvoir d’appréciation, qui peut aller jusqu’au refus de l’extension si le dossier ne répond pas à ces exigences.

Accessibilité et publicité : comment les arrêtés d’extension sont-ils portés à la connaissance des vignerons ?

La publication de l’arrêté d’extension est la clé de voûte de la procédure : sans cette publicité officielle, la CVO étendue n’est pas opposable. Concrètement, l’arrêté est publié :

  • au Journal Officiel (papier ou en ligne, accessible gratuitement sur Legifrance),
  • souvent accompagné de communiqués régionaux ou interprofessionnels pour en assurer la diffusion.

Une fois publié, il lie tous les producteurs et opérateurs de la zone concernée (exploitation, récolte, commercialisation). Mais en pratique, certains viticulteurs découvrent la mesure par leur centre de gestion, leur caisse d’assurance, ou lors de contrôles, soulignant une faiblesse persistante de la communication institutionnelle.

Délais pour la mise en œuvre : quand la CVO étendue devient-elle effective ?

La loi ne fixe pas de délai uniforme, mais, en règle générale, l’arrêté ministériel prévoit explicitement à quelle date la CVO devient due – souvent au titre de la campagne en cours ou de l’exercice à venir.Dans les faits, le délai de traitement entre la demande d’extension soumise par l’interprofession et la publication de l’arrêté oscille entre 2 et 6 mois (données issues de comptes-rendus Inao), variables selon la charge des services instructeurs et la complexité du dossier. Certains contentieux ou consultations peuvent retarder l’entrée en vigueur.

Les marges de contestation des producteurs face à l’extension

Un principe fondamental : l’extension n’équivaut pas à l’unanimité. Des producteurs peuvent estimer la CVO injustifiée, trop lourde, ou mal répartie. Mais quels sont réellement leurs moyens d’opposition ?

  • Avant extension : Très limité, à part une action concertée auprès du ministère (lobbying, lettres, sensibilisation des parlementaires) pour faire valoir des arguments de fonds (représentativité, affectation des fonds, discrimination).
  • Après extension : Possibilité d’attaquer l’arrêté via un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État, dans un délai de 2 mois à compter de sa publication (Code de justice administrative, art. R.421-1).
  • Autres moyens : Certains collectifs de viticulteurs ont déjà saisi la presse ou formé des recours collectifs, sans effet suspensif automatique sur la CVO.

En 2014, le Conseil d’État a annulé l’arrêté d’extension de la CVO du Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace, jugeant qu’il ne respectait pas la représentativité fixée par les textes (CE, 28 mai 2014, n° 361028).

Surveillance et contrôle administratif de la légalité

La procédure ne s’arrête pas à la publication. Les services de la DGCCRF, de FranceAgriMer et parfois de la Cour des comptes peuvent contrôler :

  • La bonne affectation des fonds issus de la CVO (audit des comptes des interprofessions),
  • Le respect des finalités autorisées par les textes,
  • La non-discrimination dans le recouvrement de la cotisation.

En cas de non-respect (mauvaise gestion, affectation illicite, absence de base légale), les pouvoirs publics peuvent suspendre ou annuler l’extension, exiger un remboursement des sommes indûment perçues, voire sanctionner l’interprofession. Ces contrôles, bien qu’occasionnels, ne sont pas marginaux : selon un rapport public (Cour des comptes, 2018), plus de 12 % des CVO contrôlées connaissent des observations ou réserves de la part de l’administration.

Procédure d’extension et situations régionales : quelques particularités

Chaque bassin viticole possède ses propres spécificités. Par exemple :

  • En Bordeaux, la multiplicité des interprofessions et la structuration en sous-filières (AOC Bordeaux, Côtes, etc.) induit des procédures d’extension parfois « ciblées » à des segments de production.
  • En Champagne, la représentativité quasi-totale de l’interprofession rend l’opposition plus difficile, mais suscite ponctuellement des débats acharnés sur l’évolution du montant de la CVO.
  • Les régions mixtes (IGP, AOC, vins sans IG) connaissent davantage de difficultés à faire reconnaître la légitimité globale de l’interprofession.

Enfin, dans le cas des interprofessions nationales comme l’Interprofession des Vins de France (Anivin de France), la procédure d’extension implique la consultation formelle du Conseil National des Interprofessions et du ministère de l’Économie.

Recours et voies de défense contre une extension contestée

Il faut rappeler que tout arrêté d’extension est un acte administratif individuel : il peut donc faire l’objet, dans un délai de 2 mois, d’un recours pour excès de pouvoir. Ce recours n’est pas suspensif, sauf demande expresse et décision écrite du juge administratif.

Les principaux motifs de recours sont :

  • Défaut de représentativité de l’interprofession,
  • Mauvaise affectation de la CVO (financement d’actions non autorisées ou d’intérêt trop particulier),
  • Violation des règles procédurales lors de l’adoption de l’accord ou de la publication,
  • Disproportion du montant ou des modalités de répartition de la cotisation.

Plus d’une dizaine de recours significatifs ont été rapportés en 15 ans en France, dont certains aboutissent à l’annulation (notamment en Bourgogne et en Provence – source : jurisprudence CAA Lyon, juin 2009 et CE, 2014).

Pour aller plus loin : l’intérêt collectif versus libertés individuelles

Si la CVO étendue vise avant tout à renforcer la puissance de négociation et de communication de la filière, elle interroge aussi sur la place de la liberté individuelle. L’extension, en imposant une contribution à tous, crée une solidarité forcée – qui se justifie (ou non) selon la qualité du dialogue interprofessionnel, la transparence des actions financées et la pertinence des projets. Un équilibre que chaque vigneron est en droit d’interroger et de défendre, non contre la logique collective, mais pour l’adapter sans cesse à la réalité de nos métiers.

Sources : Ministère de l’Agriculture, INAO, Cour des comptes, Conseil d’État, Legifrance, Fédération des Vins de France.

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