Cotisations Volontaires Obligatoires : retour sur la loi qui a transformé la solidarité viticole

19/06/2025

Introduction : Les CVO, une contribution contestée mais structurante

Dans le paysage viticole français, rares sont les sujets qui cristallisent autant d’interrogations et de ressentiment que les CVO, ou Cotisations Volontaires Obligatoires. Nées dans un contexte particulier, adoptées par des textes précis, ces contributions sont devenues une réalité implacable pour tous les vignerons et acteurs du secteur. Mais derrière l’acronyme, quelles sont les racines légales des CVO ? Pourquoi sont-elles apparues ? Sur quelle loi reposent-elles réellement ?

Ce système de financement collectif, longtemps mal compris, constitue un tournant majeur dans la structuration et la défense collective de la filière. Pour sortir du flou, citons les textes, les étapes clefs et les débats qui persistent encore aujourd’hui autour de ces prélèvements, dont le nom semble contenir, à lui seul, une contradiction entre “volontariat” et “obligation”.

La naissance légale des CVO : immersion dans le Code rural

Pour situer l’origine exacte des CVO, il faut se plonger dans le droit français des années 1970, période de transformations profondes pour les filières agricoles. Ce sont en effet les lois d’orientation agricole qui introduisent les premières bases juridiques permettant le financement interprofessionnel via des contributions obligatoires.

  • 1975 : La loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 d’orientation agricole fixe le principe de regroupement et de structuration des filières autour d’organismes interprofessionnels. Mais elle ne donne pas encore de cadre précis pour les CVO.
  • 1975: Création legale possible des premières interprofessions agricoles, sur la base du livre VI du Code rural.

Les CVO trouvent leur véritable fondement juridique quelques années plus tard. C’est la loi n° 77-515 du 3 mai 1977 portant sur l’organisation interprofessionnelle agricole qui consacre la possibilité pour les interprofessions reconnues de percevoir des contributions obligatoires de la part de tous les opérateurs de la filière.

L’article 5 de cette loi (devenu article L632-6 du Code rural actuel) prévoit explicitement :

  • “Les organisations interprofessionnelles reconnues peuvent proposer la création de cotisations à caractère obligatoire (…) pour financer leurs actions collectives, sous réserve de l’extension de l’accord par les pouvoirs publics.”

Un mécanisme original, inspiré des chambres de commerce, où la contribution volontaire décidée au sein de la profession devient obligatoire pour tous une fois l’accord étendu par arrêté préfectoral ou ministériel.

L’évolution du cadre légal : du volontariat à l’obligation généralisée

Au fil des années, les textes initiaux ont été adaptés pour accompagner l’essor des interprofessions viticoles, dont l’un des exemples phares reste le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC), bientôt suivi par le CNGV (Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie à appellation d’origine contrôlée).

La logique d’universalité est renforcée par :

  • La loi n° 94-1147 du 27 décembre 1994 “relative à l’organisation interprofessionnelle agricole” remanie le Code rural et précise les conditions d’approbation des CVO par voie d’accords interprofessionnels étendus (Source : Légifrance).
  • Décret n° 96-173 du 4 mars 1996 qui fixe la procédure d’extension des accords interprofessionnels et d’appel à cotisation.

En pratique, dès lors qu’un accord sur les CVO est voté au sein du conseil d’administration d’une interprofession reconnue (ex : Inter Rhône, CIVB, BNIC, etc.), l’accord peut être soumis à extension à l’ensemble des opérateurs concernés, y compris ceux qui ne sont pas membres, par arrêté interministériel du ministère de l’Agriculture et, le cas échéant, de l’Économie.

Aujourd’hui, le Code rural et de la pêche maritime, dans ses articles L632-6 à L632-11, encadre intégralement ce système. Voir notamment les textes accessibles sur Légifrance.

Les CVO spécifiquement dans le secteur viticole : une mutualisation à la française

La viticulture a rapidement adopté le système des CVO pour mutualiser le financement des :

  • Actions de promotion collective (marchés intérieurs et exports)
  • Programmes de recherche et développement (lutte contre les maladies, adaptation climatique, innovation œnologique)
  • Opérations de défense des signes de qualité et procédures juridiques contre les fraudes sur l’appellation
  • Actions de communication, événements, salons, etc.

Ainsi sont nés des outils collectifs puissants, portés par les interprofessions. Pour le secteur du vin en France, on dénombre aujourd’hui plus de 30 structures interprofessionnelles habilitées à collecter et utiliser des CVO, de façon très variable selon les appellations et filières. Source : FranceAgriMer, note de synthèse 2021.

En 2022, le seul secteur des vins AOC a collecté plus de 110 millions d’euros via les CVO, un chiffre multiplié par 3 en 20 ans. Cette manne alimente un modèle jugé indispensable par certains, contesté par d’autres, surtout lorsque la transparence d’utilisation fait défaut.

Pourquoi “Volontaires Obligatoires” ? Décryptage juridique et sémantique

L’intitulé “Cotisation Volontaire Obligatoire” intrigue souvent, à juste titre. Ce qui était “volontaire” au départ devient bel et bien "obligatoire" pour toutes les entreprises actives sur la filière dès lors que l’accord interprofessionnel a été étendu. Ainsi, la contribution n’est pas décidée au niveau de chaque opérateur, mais bien par les représentants élus ou désignés de l’interprofession, et imposée ensuite par l’État.

Ce mécanisme permet d’éviter les “passagers clandestins” tout en garantissant un intérêt commun. Point crucial : le non-paiement d’une CVO exposait jusqu’à récemment le contrevenant à des pénalités similaires à des dettes fiscales, voire à des poursuites civiles.

Les grandes questions et controverses autour de la loi sur les CVO

Dès la mise en place des CVO, plusieurs débats émergent :

1. Légitimité démocratique et représentativité

  • Les accords sont-ils réellement négociés de façon transparente ?
  • Les opérateurs sont-ils suffisamment consultés ?
  • Le processus profite-t-il principalement aux grandes structures ou garantit-il l’équité entre petits et grands producteurs ?

2. Transparence de la gestion

De nombreux vignerons déplorent l’opacité sur l’utilisation des fonds : le rapport de la Cour des comptes de 2023 sur la filière vin pointe la nécessité de rendre publics les comptes et missions financées par les CVO, sous peine de saper la confiance des cotisants (Cour des Comptes).

3. Recours juridiques et contestations devant les tribunaux

  • Depuis 2008, plus de 300 recours contentieux ont été déposés devant les juridictions administratives contre l’extension d’accords interprofessionnels collectant les CVO (source : Conseil d’État, 2016).
  • La Cour de justice de l’Union européenne a validé le principe, sous réserve de conformité au droit communautaire, notamment aux règles de la concurrence.

Chronologie succincte des textes fondateurs des CVO viticoles

Année Texte légal ou évènement Effet pour la viticulture
1975 Loi d’orientation agricole n°75-600 Structuration des interprofessions, préfiguration des CVO
1977 Loi n°77-515 (art.5) Création des "cotisations volontaires obligatoires" sous le nom de contributions interprofessionnelles
1994 Loi n°94-1147 Modernisation du cadre légal, clarification de l’extension à tous les opérateurs
1996 Décret n°96-173 Procédure de validation par arrêté ministériel, contrôles renforcés
2006 Refonte du Code rural (L632-6 à L632-11) Cadre juridique actuel, généralisation sectorielle

Outils et ressources pour les vignerons : s’informer, se défendre, agir

Face à un édifice juridique complexe, il est vital de connaître ses droits :

  • Les accords, montants et affectations des CVO sont régulièrement publiés au Journal Officiel (arrêtés d’extension).
  • Les interprofessions ont l’obligation de fournir l’état d’utilisation des fonds et le détail des missions (Art. L632-7 Code rural).
  • En cas de litige sur le bien-fondé, la forme ou le montant de la CVO, le recours s’exerce devant le Tribunal administratif.
  • Des associations et collectifs se sont constitués pour défendre les cotisants et obtenir transparence et équité (ex : Vignerons indépendants de France).

Nouveaux enjeux : vers une refonte des CVO ?

La question de l’utilité des CVO, de leur gouvernance et de leur adaptation aux défis contemporains (développement durable, crise climatique, évolution des marchés) revient à l’ordre du jour. Plusieurs interprofessions, liées par la base légale posée dans les années 1970-90, réévaluent aujourd’hui leur mode de calcul, leur périmètre et l’association des cotisants aux choix stratégiques.

Des propositions émergent, oscillant entre le renforcement de l’obligation (au nom de l’intérêt général de la filière) et la possibilité d’un abaissement, voire la suppression pour certains profils ou régions.

Le débat reste vif et structurant, révélant l’enjeu central du financement collectif dans un secteur où la concurrence internationale et la pression sur les marges n’a jamais été aussi forte.

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