Démêler l’origine et la légalité des CVO dans la viticulture française

16/06/2025

La naissance des CVO dans la filière viticole : une construction légale ancienne

Le mécanisme des CVO s'enracine dans la volonté de structurer les filières agricoles françaises. Plus spécifiquement, c’est la loi n°75-600 du 10 juillet 1975 relative à l’organisation interprofessionnelle agricole qui a instauré le principe des CVO. L’objectif était alors de permettre aux interprofessions, composées de représentants des producteurs, transformateurs et éventuellement distributeurs, de mutualiser des moyens financiers pour mener des actions collectives (promotion, recherche, qualité, défense des intérêts de la filière, etc.).

En viticulture, la première application concrète a été rapide, à travers les comités interprofessionnels régionaux ou nationaux (tels que le CIVB à Bordeaux ou le CIVL en Languedoc). Dès la fin des années 1970, la pratique des CVO est solidement ancrée dans la gestion collective, tant pour accompagner la montée en gamme des vins français que pour faire face à la concurrence internationale.

De la “volonté” à l’“obligation” : l’évolution d’un système hybride

Le terme même de “cotisation volontaire obligatoire” a de quoi questionner. La philanthropie collective ne suffit pas toujours à financer de grandes campagnes ou la recherche ; d’où la logique de l’obligation. Concrètement, la marche a été franchie avec le mécanisme d’extension des accords interprofessionnels par les pouvoirs publics — permettant d’imposer le versement à l'ensemble des professionnels, qu’ils soient membres ou non de l’organisme interprofessionnel.

Au fil des années, ce cadre a évolué par touches successives, notamment avec la loi EGALIM (2018) qui a précisé certains aspects du fonctionnement interprofessionnel, et par la codification dans le Code rural et de la pêche maritime (CRPM – articles L632-1 à L632-11 et R632-1 à R632-18).

Le rôle précis de l’État : extension des accords et contrôle des CVO

L’État ne prélève pas lui-même les CVO, mais son intervention est cruciale à toutes les étapes :

  • Homologation des accords interprofessionnels : Les organisations interprofessionnelles concluent des accords qui fixent montants, modalités et finalités des CVO. Ces accords ne deviennent obligatoires qu’après une procédure d’“extension” décidée par un arrêté interministériel (généralement du ministère de l’Agriculture, parfois co-signé avec celui de l’Économie).
  • Contrôle de légalité : Tout accord soumis à extension est vérifié pour sa conformité au Code rural et à la législation européenne.
  • Publication au Journal Officiel : C’est l’arrêté publié qui matérialise l’obligation pour l’ensemble de la filière concernée.

C’est à ce stade que la CVO bascule d’une logique associative en une contrainte redevable à la collectivité, quelle que soit l’appartenance à l’interprofession.

Procédure légale d’extension et d’obligation des CVO : un formalisme à respecter scrupuleusement

L’extension d’un accord (et donc de la CVO qui en découle) suit une procédure stricte :

  1. Rédaction de l’accord par l’interprofession et dépôt d’une demande d’extension auprès des autorités compétentes.
  2. Instruction par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) et éventuellement consultation de l’Autorité de la concurrence.
  3. Publication de la demande au Bulletin officiel, permettant l’expression des observations des parties prenantes ou de toute personne intéressée (délai de 15 jours en général).
  4. Signature de l’arrêté d’extension par le ministre de l’Agriculture (et parfois celui de l’Économie), puis publication au Journal Officiel.

Il s’agit d’une procédure particulièrement documentée, mais sa complexité est parfois source d’incompréhensions – voire de contentieux.

Les CVO dans le Code rural et de la pêche maritime : un encadrement très précis

Le socle juridique des CVO se trouve aujourd’hui dans le Code rural et de la pêche maritime (CRPM) :

  • Articles L632-1 à L632-11 : définitions, missions et règles applicables aux accords interprofessionnels.
  • Articles R632-1 à R632-18 : modalités d’agrément des interprofessions, conditions de fonctionnement, procédures d’extension, contrôles.

Le CRPM prévoit notamment :

  • Un plafond des frais de gestion de la structure (pas plus de 15% du produit des CVO, d’après le décret de 2006 modifié en 2013).
  • Un champ d’action réservé à des missions collectives : qualité, recherche, défense et valorisation des produits, informations économiques, formation…
  • La faculté de saisine de la justice en cas de contestation.

L’influence du droit européen sur les CVO : des garde-fous incontournables

Le cadre juridique européen joue un rôle-clé. Les CVO sont autorisées par les règlements relatifs aux Organisations Interprofessionnelles Agricoles (notamment le Règlement (UE) n°1308/2013 sur l’Organisation commune des marchés agricoles), à condition que :

  • Elles ne portent pas atteinte à la libre circulation des marchandises.
  • Elles ne faussent pas la concurrence.
  • Elles ne constituent pas des aides d'État déguisées.

Les procédures d’extension sont d’ailleurs régulièrement notifiées à la Commission européenne (cf. articles 164 et 165 du règlement précité), qui peut demander leur modification ou blocage en cas d’incompatibilité.

À signaler qu’en 2016, la Commission européenne avait demandé à Paris de revoir certains aspects financiers et opérationnels des interprofessions viticoles, considérant que des risques de distorsion de concurrence subsistaient dans la façon dont certaines interprofessions utilisaient les fonds collectés (Vitisphere, 2016).

Contestations en justice et jurisprudence sur les CVO

L’existence, la légitimité et le montant des CVO donnent régulièrement lieu à des recours devant la justice administrative :

  • Conseil d’État : Il reste l’arbitre suprême, régulièrement saisi par des viticulteurs ou entreprises mettant en cause l’extension ou la gestion d’une CVO.
  • De 2008 à 2020, plus d’une quinzaine de recours ont conduit à l’annulation partielle ou totale d’arrêts d’extension pour vice de procédure ou non-respect des finalités prévues par la loi. Exemple marquant : en 2011, une série d’arrêts du Conseil d’État (CE, 5 octobre 2011, req. n° 327539) a invalidé l’extension de certaines CVO pour défaut de motivation et d’informations suffisantes sur l’usage des fonds (Vitisphere).
  • À plusieurs reprises, le Conseil d’État a validé le principe des CVO en jugé leur conformité au droit européen, mais n’a pas hésité à censurer leur extension lorsqu’il estimait que la procédure n’avait pas été complètement respectée.

Il existe donc un véritable contrôle de légalité des CVO et de leur mise en place, à la fois par l’État et par les juridictions administratives.

Contrôle et conformité des décisions sur les CVO : qui veille au grain ?

Le respect de la légalité dans la collecte et l’utilisation des CVO repose sur plusieurs intervenants :

  • La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui veille à la régularité des procédures et des usages.
  • L’Autorité de la concurrence, consultée lors de chaque extension pour écarter les risques d’entraves à la concurrence.
  • L’Inspection Générale de l’Agriculture, qui peut être saisie pour vérification de la gestion des fonds des interprofessions.
  • Le Conseil d’État, arbitre ultime, pouvant à tout moment annuler une décision d’extension abusive ou irrégulière.

CVO, cotisation syndicale : des différences de nature et de régime juridiques

L’assimilation fréquente entre CVO et cotisation syndicale est trompeuse. Les principales distinctions sont les suivantes :

  • Cotisation syndicale : Versement libre et volontaire pour soutenir l’activité d’un syndicat professionnel, réservé à ses adhérents. Elle n’a aucune portée obligatoire sur l’ensemble d’une profession.
  • CVO : Prélèvement obligatoire en vertu d’un arrêté ministériel, conditionné à l’exercice d’une activité relevant d’un accord interprofessionnel étendu. Elle n’est pas liée à l’adhésion, mais à la qualité de producteur ou opérateur du secteur concerné.
  • Les finalités diffèrent : défense d’intérêts collectifs de la filière (CVO) vs défense d’intérêts revendicatifs propres aux adhérents (syndicat).
  • La gestion et le contrôle sont publics pour les CVO, alors qu’ils relèvent du droit privé pour les cotisations syndicales.

Quand l’obligation de payer les CVO est contestée par le Conseil d’État

Plusieurs affaires devant le Conseil d’État ont permis de rappeler ou de questionner l’obligation de s’acquitter des CVO :

  • En 2005, un arrêt de principe (CE, 2 février 2005, FNSEA et autres) a confirmé la légalité du prélèvement pour tous les opérateurs concernés, y compris non adhérents à l’interprofession, dès lors que la procédure d’extension était respectée.
  • Cependant, en 2011 et à nouveau en 2016-2017, plusieurs décisions du Conseil d’État ont retoqué des arrêtés d’extension pour défaut de respect des règles de transparence sur la finalité des fonds ou pour des dépassements de cadre.
  • Le Conseil d’État a toujours jugé la CVO compatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme (notamment le principe de liberté d’association), considérant qu’elle vise à financer des actions strictement collectives – mais sous réserve de respects scrupuleux du formalisme légal et réglementaire.

La ligne rouge est claire : le droit à contester existe, mais la légitimité des CVO, une fois leur extension validée dans les règles, reste la position constante du juge administratif suprême.

Perspectives et vigilance pour les vignerons

Face à un système aussi technocratique et évolutif, l’expertise et la vigilance doivent rester de mise. Les CVO s’imposent aujourd’hui comme une clé de voûte du financement collectif de la filière viticole française, mais leur légitimité repose sur le respect scrupuleux des garanties de transparence, de destination des fonds et d’équité entre tous les professionnels concernés.

La multiplication des recours en justice – et certains succès contentieux – illustrent que la voix des vignerons peut peser pour rappeler à la fois les droits et les devoirs de toutes les parties prenantes. Mieux s’informer sur le fonctionnement précis des CVO permet non seulement de défendre ses intérêts, mais aussi d’assurer que les contributions servent réellement la collectivité.

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