Qui fait quoi ? Les véritables missions des interprofessions dans la filière viticole

29/07/2025

Un pivot historique entre production, transformation et marché

Si le modèle interprofessionnel est bien ancré dans la culture viticole française, c’est qu’il répond à une nécessité : favoriser la concertation entre maillons d’une même filière, organiser une réponse collective face à la volatilité des marchés et harmoniser les relations entre la production (viticulteurs, vignerons), la transformation (maisons, coopératives, négociants) et la distribution.

Les interprofessions telles que l’interprofession des vins de Bordeaux (CIVB), du Champagne (CIVC), ou encore d’Alsace comptent parmi les organismes les plus structurés du secteur agricole français. Selon le ministère de l’Agriculture, il existe aujourd’hui plus de 20 interprofessions viticoles reconnues. Elles couvrent près de 99 % du vignoble national (FranceAgriMer – Étude de filière Vin 2021).

Premier axe : organiser le dialogue et bâtir le consensus

Le premier rôle d’une interprofession est de servir de forum de discussion structuré entre familles professionnelles :

  • Viticulteurs : producteurs indépendants, exploitants familiaux, apporteurs coopérateurs
  • Vinificateurs et négociants : caves particulières, coopératives, grandes maisons, metteurs en marché
  • Distributeurs, parfois associés

À travers des commissions mixtes, les interprofessions bâtissent des accords collectifs sur des sujets sensibles :

  • Stratégies de valorisation des AOC/IGP
  • Organisation des campagnes de promotion en France ou à l’export
  • Prises de position sur la réglementation européenne (OCM, PAC)

À titre d’exemple, le CIVB réunit chaque année plus de 200 représentants lors de ses commissions paritaires.

Défendre et promouvoir la qualité : cahiers des charges, recherche et innovation

Le secteur viticole français a fait des signes de qualité (AOC, IGP, labels) son fer de lance. Les interprofessions jouent un rôle central dans :

  • L’élaboration, la mise à jour et la défense des cahiers des charges (doses de sulfites, cépages autorisés, techniques de vinification)
  • Le financement de la recherche sur les maladies de la vigne (mildiou, flavescence dorée), de nouvelles pratiques culturales, ou de projets d’adaptation au changement climatique
  • La mise en place de contrôles et d’outils qualité (systèmes de prélèvement aléatoire, certifications collectives)

En 2022, l’interprofession des vins d’Alsace a consacré 5,7 millions d’euros à la conduite de recherches sur la réduction des phytos et la sélection clonale (Sources : CIVA).

Structurer et sécuriser le marché viticole

Les interprofessions sont dotées d’un pouvoir rare : celui de proposer des mesures de régulation à l’échelle de leur bassin : encadrement du rendement, gestion des excédents, gestion de la crise sanitaire ou climatique (retrait du marché, distillation de crise, stockage privé).

Par exemple, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne déploie chaque année un mécanisme d’« interprofessionnalité convertie » pour piloter le volume de production autorisé, protéger la renommée et la valeur du Champagne sur les marchés internationaux.

  • Gestion des rendements : détermination de quotas à l’hectare, ajustés par campagne selon la conjoncture du marché (chiffres CIVC 2023 : 11 000 kg/ha pour la Champagne, 13,28 millions hectolitres de production totale encadrée par le CIVB en 2022 – Source : VitiNet, FranceAgriMer)
  • Mesures collectives en période de crise : en 2020, près de 2,7 millions d’hectolitres ont été retirés du marché et distillés pour faire face à l’effondrement de la demande Covid-19 (Source : La Revue du Vin de France)

Financer et coordonner la promotion des vins français

Le budget promotionnel de la filière viticole française atteint des sommes considérables : 88 millions d’euros en 2021 toutes interprofessions confondues (Source : CNIV). Ces actions financent :

  • Campagnes « Vins de Bordeaux, Bordeaux Rosé, Côtes de Provence » en restauration et grandes surfaces
  • Actions à l’export (salons ProWein, Wine Paris, campagnes de presse à l’international)
  • Développement d’outils digitaux pour la traçabilité, la transparence et l’information des consommateurs

Le CIVB a investi seul plus de 20 millions d’euros pour soutenir la notoriété mondiale de ses vins en 2022. Ces chiffres situent la filière vin au premier rang des budgets de promotion de l’agroalimentaire français, loin devant les fruits et légumes (Source : LSA, Vitisphère).

Assurer la transparence et la régulation économique : études, statistiques, veille

L’élaboration de statistiques communes, la publication de bilans de récolte, de cours hebdomadaires du vin en vrac, ou de niveaux de stock, sont parmi les outils les plus concrets d’une interprofession pour éclairer ses membres et orienter leurs décisions.

  • Exemple : Le rapport annuel de FranceAgriMer – Vin propose tous les ans un état détaillé du marché, base de négociation autant que d’alerte sur les risques de surproduction.
  • Outils mutualisés : Depuis 2019, des plateformes numériques de traçabilité collective (exemple E-Viti en Bourgogne) sont impulsées par les interprofessions pour moderniser la gestion et améliorer la coordination entre exploitations et opérateurs du secteur.

Le transparent doit être accompagné d’un vrai contre-pouvoir de terrain pour vérifier, discuter et corriger. Plusieurs interprofessions animent ainsi des commissions “observatoires” directement accessibles aux adhérents.

Représenter et défendre la filière au niveau national et européen

Interlocutrices privilégiées des pouvoirs publics, les interprofessions sont fédérées au sein du Conseil National des Interprofessions des Vins (CNIV) pour porter la voix de la filière : défense des intérêts lors des négociations européennes (OCM vins), participation aux discussions sur la fiscalité (accises, TVA), appui à l’encadrement des pratiques œnologiques autorisées.

Leur force réside dans la capacité de constituer un front uni : 80 % des communications officielles du secteur adressées à Bruxelles sont co-signées par le CNIV ou des interprofessions régionales (Source : CNIV).

En 2018, le secteur vitivinicole a pesé près de 12,5 milliards d’euros d’exportation pour la France, avec une balance commerciale excédentaire de 11,1 milliards d’euros (Source : Douanes françaises). Un poids lourd où la coordination du plaidoyer interprofessionnel ne relève pas de la figure de style.

Une gouvernance qui fait débat : financement, représentation, limites

Le financement des interprofessions repose en grande partie sur la “cotisation volontaire obligatoire” (CVO), qui s’impose à chaque opérateur. Près de 180 millions d’euros sont collectés chaque année auprès des acteurs viti-vinicoles (Source : CNIV). Cet outil, quoique légalement encadré, continue à susciter débat sur la répartition des charges et leur usage effectif.

  • Les petites exploitations dénoncent parfois un effet d’écrasement et un manque de poids dans les décisions stratégiques
  • Des conflits sont récurrents lors des arbitrages sur l’usage du budget, souvent dicté par l’équilibre difficile entre négoce et production
  • La complexité administrative des interprofessions (multiplication des commissions, lenteur des prises de décision) est régulièrement pointée, notamment par la Cour des comptes en 2020 qui appelait à davantage d’exigence d’efficacité, de transparence et de représentativité

Vers de nouvelles missions : environnement, équité, digitalisation

L’avenir des interprofessions est en mouvement. Face aux transitions écologiques, à l’enjeu du renouvellement générationnel et aux débats sur la juste répartition de la valeur ajoutée, ces structures investissent dans :

  • Des programmes collectifs de réduction de l’usage de produits phytosanitaires (plan EcoPhyto II+, Charte nationale du développement durable interprofessionnel du vin)
  • Le développement de labels de responsabilité sociale, d’outils égalité femmes-hommes, et des études sur les salaires dans la filière
  • L’accompagnement de la transition numérique : traçabilité blockchain, marché en ligne, nouveaux outils de mutualisation logistique

L’interprofession viticole agit aujourd’hui sur des terrains que ses fondateurs ignoraient : enjeux de santé publique, gestion du risque climat, structuration des circuits courts face aux plateformes numériques. Elle devra prouver, face à une nouvelle génération d’exploitants et de consommateurs, sa capacité à se transformer sans renier sa vocation d’origine : être la courroie de transmission et le bouclier collectif des femmes et des hommes de la vigne.

Repères chiffrés et ressources pour aller plus loin

Interprofession Budget annuel (2022, en M€) Aire d'AOC couverte (ha) Effectif de vignerons/adhérents
CIVB (Bordeaux) 31 112 000 6 500 vignerons, 300 négociants
CIVC (Champagne) 23 34 300 15 000 vignerons, 320 maisons
CIVA (Alsace) 8 15 527 4 200 vignerons, 196 caves coopératives et négociants

Sources : rapports annuels des interprofessions, FranceAgriMer

Éclairages : comment s’en saisir sur le terrain ?

Bien comprendre les missions des interprofessions permet une chose : ne pas rester simple cotisant spectateur. Les avancées collectives, la défense des exploitations familiales, l’émergence de nouveaux modèles économiques ou environnementaux, tout se joue aussi lors des commissions, groupes de travail, ou consultations parfois méconnues mais ouvertes à tous les adhérents. Les batailles à venir autour des droits de plantation, de la rémunération équitable ou des standards environnementaux dépendent largement de la capacité de tous à s’y investir pour peser et rééquilibrer la gouvernance d’un secteur aussi puissant que fragile.

Pour approfondir :

  • CNIV : https://www.cniv.fr
  • Rapports de la Cour des Comptes (2020, 2022)
  • Ministère de l’Agriculture : dossier filière vin

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