CVO en Bourgogne : comprendre leur mécanisme, leur utilité, et les zones d’ombre

22/10/2025

Qu’est-ce qu’une CVO ? Un rappel indispensable

Parler de “Contribution Volontaire Obligatoire” (CVO) en Bourgogne, c’est évoquer un mécanisme qui, chaque année, prélève plusieurs millions d’euros directement dans les poches des exploitants viticoles. Derrière cette formule administrative se cache un système méconnu, parfois contesté, essentiel à la politique de filière, mais opaque pour nombre de vignerons. La CVO est une cotisation imposée à tous les producteurs d’une appellation, destinée à financer les structures interprofessionnelles chargées notamment de la promotion, de la recherche, de la défense de l’appellation et de la communication collective.

Les CVO sont encadrées par la loi n° 2004-628 du 30 juin 2004, revue plusieurs fois, et font partie intégrante du quotidien des exploitations bourguignonnes. Leur particularité ? On ne cotise pas à la carte, ni selon ses convictions, mais du fait même de son activité, qu’importe qu’on adhère ou non à l’interprofession.

Genèse et évolution des CVO en Bourgogne

Historiquement, l’idée de contribuer collectivement à la défense et à la valorisation d’une appellation n’est pas mauvaise en soi. La Bourgogne, avec ses 84 AOC (dont 33 grands crus), cultive depuis longtemps la notion de terroir collectif, où la réussite de l’un contribue à l’image de tous.

Pourtant, les premières CVO sont apparues en 2005 dans le sillage de la réforme des interprofessions viticoles. En Bourgogne, le BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne) devient alors le principal organisme collecteur et gestionnaire de ces fonds.

  • 2005 : Mise en place des premières CVO avec un taux autour de 1,5 €/hl.
  • 2010 : Hausse significative, avec des taux dépassant fréquemment 2 €/hl pour les AOC régionales.
  • Depuis 2020 : Adaptation annuelle des taux selon les besoins, la conjoncture et la trésorerie du BIVB (jusqu’à 2,80 €/hl sur certaines appellations en 2023, selon les chiffres du BIVB).

Le montant total prélevé en Bourgogne approche désormais les 12 à 14 millions d’euros / an, selon les années et les volumes produits (source : BIVB rapport d’activité 2023).

Comment la CVO est-elle calculée en Bourgogne ?

La Bourgogne applique des CVO distinctes selon plusieurs critères, avec une mécanique propre qui invite à inspecter de près la colonne “charges” des exploitants :

  • Base de calcul : Le volume produit et commercialisé. Les CVO sont assises, dans 99 % des cas, sur le nombre d’hectolitres revendiqués à l’agrément.
  • Déclaration : Chaque producteur doit déclarer ses volumes à l’interprofession en fin de campagne, indépendamment d’une adhésion volontaire.
  • Distinguer : Distinction par couleur (rouge/blanc), sous-appellation (ex : Bourgogne, Meursault, Gevrey-Chambertin), et catégorie (AOC régionale, village, premier cru, grand cru…).
  • Taux : Le tarif 2023 varie par exemple de 2,10 €/hl pour certains AOC régionaux à 2,80 €/hl pour des premiers crus et grands crus (source : BIVB circulaires 2023).

À noter que le négoce est lui aussi assujetti à une CVO spécifique, souvent moindre (0,50 à 0,80 €/hl), principalement sur les volumes achetés.

Un exemple concret :

Sur une exploitation produisant 30 hl de Meursault (Premier Cru) :

  • Montant dû pour la CVO “production” : 30 hl x 2,80 € = 84 €
  • Si la même exploitation vinifie également 70 hl de Bourgogne blanc (appellation régionale à 2,10 €/hl) : 70 hl x 2,10 € = 147 €
  • Total CVO annuelle : 84 + 147 = 231 €
Ce calcul peut peser lourd à l’échelle d’un domaine de 12-20 ha, qui voit la facture se chiffrer rapidement à plusieurs milliers d’euros. Pour un grand domaine exploitant 400 hl répartis sur divers crus, la charge peut dépasser 1 000 à 1 800 € par an.

À quoi servent les CVO ? Missions et usages du BIVB

Le BIVB reçoit 100 % de la collecte CVO, soit la caisse centrale qui finance :

  • Promotion collective : Salons professionnels, campagnes à l’international, accueil de journalistes et d’acheteurs, publicité institutionnelle…
  • Recherche & innovation : Recherche agronomique, tests sur la réduction des intrants, études sur l’évolution climatique.
  • Défense de l’appellation : Veille juridique, défense des IG (indications géographiques), lutte contre les contrefaçons, interventions lors de crises sanitaires (flavescence dorée, etc.).
  • Communication filière : Informations techniques, statistiques économiques, animation de débats internes à la profession.

Le rapport d’activité annuel du BIVB détaille ces affectations. En 2022, par exemple, 33 % des dépenses ont concerné la communication/promotion, 27 % la recherche & développement, 10 % la défense juridique (source : BIVB).

Les critiques : absence de volontariat et manque de transparence

La CVO est “volontaire” par tradition historique, mais “obligatoire” en pratique (d’où l’oxymore). Les contestations viennent principalement de deux points :

  1. Le sentiment de non-consentement. La majorité des vignerons n’ont pas voix au chapitre sur la fixation des taux. Le BIVB se fonde sur un vote en conseil d’administration, où le poids du négoce reste prépondérant (cf. composition CA BIVB 2023 : 50 % production, 50 % négoce).
  2. Le manque de détail sur l’usage effectif des montants collectés. De nombreux producteurs estiment que la traçabilité budgétaire demeure perfectible, malgré le rapport annuel accessible. Les polémiques sur le coût de certains événements internationaux (ex : la présence du BIVB au salon Prowein, coût supérieur à 800 000 € en 2022, selon La Vigne 2022) ont alimenté cette méfiance.

Au moins trois recours administratifs ont été tentés depuis 2017, sans succès jusqu’à présent. Le Conseil d’Etat a confirmé la légalité du mécanisme (notamment l’arrêt du 10/03/2021, Conseil d’État, n°432880), tout en rappelant la nécessité de consulter annuellement les professionnels.

L’impact économique sur les exploitations : chiffres-clés

  • En 2023 : Moyenne de CVO prélevée par exploitation en Bourgogne : 1 125 € (source : BIVB).
  • Domaines de plus de 25 ha : CVO annuelle supérieure à 3 500 € pour certains polyculturaux.
  • Proportion dans les charges : Entre 0,6 et 1,2 % du chiffre d’affaires pour les exploitations petites et moyennes, pointe à 2 % pour les micro-domaines (source : chiffres MSA 2022 / FranceAgriMer).
  • Effet COVID-19 : En 2020, un abattement exceptionnel de 25 % a été accordé après une mobilisation du terrain, preuve que le dispositif reste adaptable si la profession se mobilise (voir La Vigne, 28/05/2020).

Points de friction et débats en cours

Les débats sur la CVO bourguignonne dépassent la question du montant. Ils portent essentiellement sur :

  • Le risque d’automatisme : Subir un prélèvement sans pouvoir vraiment le discuter ou l’orienter est un motif d’incompréhension profonde.
  • La ventilation entre promotion et technicité : Certains vignerons estiment que trop de ressources partent vers la communication, pas assez vers l’accompagnement technique ou la transition écologique.
  • L’équité régionale : Plusieurs syndicats locaux ont critiqué une répartition “Paris-Lyonesque” dans les fonds : les petites AOP (Irancy, Côtes d’Auxerre…) se sentent parfois moins bien servies que les grands crus de la Côte d’Or.

Les véritables enjeux démocratiques

La CVO pose la question de la démocratie professionnelle. Si le principe de solidarité de filière n’est pas discutable, celui de la légitimité de la décision collective mérite d’être interrogé.

  • Pourquoi la voix des “petits” est-elle toujours minoritaire lors des votes de fixation ?
  • Quels dispositifs de reddition de comptes existent réellement ?
  • Comment garantir que la répartition entre promotion et accompagnement technique soit à la hauteur des ambitions climatiques et environnementales de la viticulture bourguignonne ?

Depuis trois ans, plusieurs groupes de vignerons indépendants militent pour la création d’une commission paritaire dédiée à la transparence budgétaire et pour la réalisation d’audits extérieurs réguliers (cf. motion déposée en 2022 lors des États Généraux de la Viticulture bourguignonne).

Pour aller plus loin : solutions en débat et pistes d’action

  • Pousser pour une communication obligatoire, annuelle, sur les dépenses précises par poste, à chaque niveau de la filière.
  • Exiger, au-delà du rapport annuel, la production d’un bilan d’impact par action financée.
  • Revoir la clé de répartition des sièges au conseil d’administration du BIVB pour inclure davantage les petits domaines.
  • Ouvrir la discussion sur le barème de la CVO, afin qu’il tienne compte des capacités contributives (différenciation en fonction de la taille du domaine ou du chiffre d’affaires, par exemple).

Il reste un formidable outil de mutualisation, mais pas à n’importe quelle condition. Mieux comprendre le fonctionnement, peser collectivement sur son évolution, oser s’informer et questionner : c’est l’esprit “Citoyens de la Vigne Organisés”. La CVO, bien comprise, peut devenir un levier au service de tous, à la condition que sa gestion soit transparente, équitable et contrôlée, pour que chaque euro versé profite réellement à ceux qui le financent.

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