Comprendre la marche légale vers l’obligation d’une CVO en viticulture

25/06/2025

Pourquoi et comment une CVO devient-elle obligatoire ?

La Contribution Volontaire Obligatoire (CVO) fait partie des mécanismes les plus débattus de la réglementation viticole. D’apparence paradoxale — « volontaire », mais « obligatoire » — elle suscite interrogations, parfois incompréhensions et, souvent, contestations sur le terrain. Pour autant, elle structure aujourd’hui une part essentielle du financement interprofessionnel dans notre filière. Mais par quels chemins une CVO s’impose-t-elle à tous ? Quelles sont les étapes légales exactes qui font qu’un prélèvement devient légalement dû par chaque vigneron ?

Ce décryptage s’appuie sur les textes officiels (Code rural et de la pêche maritime, textes communautaires) ainsi que sur les documents diffusés par FranceAgriMer, INAO et les interprofessions elles-mêmes.

Définition et cadre juridique de la CVO

La CVO n’est pas une taxe publique, au sens où la percevrait l’État. Il s’agit d’une contribution instaurée dans le cadre d'une Interprofession agricole, relevant du droit privé mais adossée à un pouvoir conféré par la loi. On la retrouve à l’article L632-6 du Code rural et de la pêche maritime qui précise le périmètre d’action des interprofessions.

Sa spécificité :

  • Elle est établie pour financer des actions collectives (promotion, recherche, actions sanitaires, etc.).
  • Elle est perçue par les comités interprofessionnels (ex : CIVB, CIVL, Inter Rhône…).
  • Son assiette et son montant sont définis par accord interne, puis rendus opposables grâce à une procédure d’extension par les pouvoirs publics.

Établissement d'un accord interprofessionnel : le point de départ

Tout projet de CVO débute par un consensus au sein de l’interprofession concernée. Le processus s’ouvre sur une négociation, souvent diplomatique et technique, menée par les collèges (producteurs, négociants, etc.). L’accord précise :

  • La nature des actions financées
  • L’assiette (par ex : volume de vin commercialisé, hectolitres produits…)
  • Le montant et le mode de perception
  • La durée d’application

L’accord doit réunir une majorité qualifiée conforme aux statuts de l’interprofession. Il est ensuite adressé à l’administration, qui devient l’arbitre légal.

La demande d’extension : l’intervention de l’État

L'étape fondamentale, c’est l’extension. Une CVO ne devient réellement « obligatoire » qu’après que le ministre de l’Agriculture (parfois en lien avec le ministère de l’Économie) donne son feu vert. Le Code rural, article L632-3, encadre cette procédure :

  1. L’interprofession adresse à la DGPE (Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises) la demande d’extension, accompagnée de l’accord signé et de ses justificatifs.
  2. Le ministère instruit le dossier, recueille l’avis du Conseil d’État si besoin, puis publie un projet d’arrêté d’extension.
  3. Ce projet est soumis à une consultation publique : généralement, publication au Bulletin officiel et délai pour observations ou contestations (souvent 15 à 30 jours).
  4. Le ministère peut modifier l’accord si des contestations sont jugées pertinentes.
  5. Un arrêté ministériel rend définitivement l’accord obligatoire à tous les opérateurs, qu'ils soient adhérents ou non de l’interprofession.

C’est cette dernière étape, souvent méconnue, qui confère à la CVO son caractère légalement obligatoire. Aucun prélèvement ne peut être exigé sans cette signature officielle.

Sources factuelles : Article L632-3 et suivants du Code rural

Les vérifications légales imposées à l’État

Avant de signer, le ministère de l’Agriculture doit contrôler certains paramètres clés :

  • Représentativité : Les signataires de l’accord représentent-ils réellement l’ensemble des familles professionnelles concernées (producteurs, négociants…)?
  • Objectifs précis et transparents : Les sommes collectées devront être affectées à des actions « objectivables » au bénéfice commun (publicité, progrès techniques, défense de la qualité…).
  • Non-discrimination : L’assiette de la CVO ne peut exclure, ni surtaxer arbitrairement une catégorie de producteurs ou d’opérateurs.
  • Proportionnalité : Les montants doivent être cohérents avec les enjeux de financement. Un rapport d’utilisation des fonds doit permettre d’éviter toute dérive.

En 2022, le montant global des CVO collectées sur les filières vins français approchait les 160 millions d’euros, selon l’AGPV (Assemblée Générale Permanente de la Viticulture), avec de fortes disparités entre régions et interprofessions (sources : AGPV ; INAO).

Le champ d’application et ses particularités

Pour qui la CVO devient-elle obligatoire ?

L’arrêté d’extension détermine précisément :

  • Les catégories d’opérateurs concernés (producteurs, négociants, caves, etc.)
  • La période de perception
  • L’assiette exacte : vin produit, vin commercialisé, plantation, etc.
Tous les opérateurs du périmètre défini par l’arrêté sont alors légalement redevables — même ceux qui refusent d’adhérer à l’interprofession. C’est l’extension qui donne cette force contraignante, jugée nécessaire pour éviter les « passagers clandestins » qui bénéficieraient des actions menées sans y contribuer.

Cas concret : En 2023, le CIVB (Bordeaux) a collecté sa CVO sur plus de 95 % des volumes produits dans l’aire d’appellation, couvrant quelque 4800 producteurs et négociants (Chiffres CIVB publiés lors de l’AG 2023).

Quelles obligations pour les vignerons ? Le calendrier et les sanctions

  • Déclaration : Le vigneron doit s’enregistrer chaque année (déclaration de récolte ou de stock, selon la filière), qui permet de calculer la CVO due.
  • Paiement : Les modalités (échéance, mode de règlement) sont fixées par l’accord étendu et rappelées aux opérateurs par l’interprofession.
  • Contrôle : Les interprofessions, outre leur droit de vérification, peuvent saisir l’administration si elles suspectent fraude ou omission.
  • Sanctions : Le non-paiement expose à des pénalités financières, et – c’est plus rare – à des poursuites civiles. Certains arrêtés prévoient aussi une exclusion temporaire des dispositifs interprofessionnels (ex : droits aux aides promotionnelles européennes…)

À noter : Depuis 2011, la transparence s’est accrue sur la traçabilité des fonds, mais aussi sur les possibilités de recours pour les producteurs contestataires.

Peut-on contester une CVO ? Les voies de recours

La légalité même des extensions de CVO a fait l’objet de multiples recours. La jurisprudence rappelle que :

  • La procédure d’extension administrative est susceptible de recours devant le Conseil d’État (contentieux de l’excès de pouvoir, dans les 2 mois suivant la publication de l’arrêté).
  • Un opérateur peut aussi soulever que la CVO a été mal appliquée (ex : erreur dans l’assiette, inégalité de traitement…)
  • Des collectifs professionnels ont parfois attaqué la légitimité de certaines collectes, arguant que les fonds étaient utilisés à des fins qui ne relevaient pas de l’intérêt général de la filière.

Dans les faits, rares sont les cas où la collecte a été annulée. Mais certains contentieux ont contraint l’administration à renforcer le formalisme et la transparence des arrêtés d’extension. Exemple : décision du Conseil d’État en 2015 sur la CVO Sudvinbio, qui a rappelé que l’assiette et les actions financées devaient être compatibles avec le mandat interprofessionnel (source : Conseil d’État, 29 juin 2015, n°375821).

Zoom sur les évolutions et points d’attention pour l’avenir

L’évolution du droit européen pèse de plus en plus dans le processus. De nouvelles règles (règlement UE 1308/2013, puis OCM 2021) encadrent la gouvernance interprofessionnelle : désormais, la Commission européenne surveille la conformité des pratiques nationales avec le marché intérieur et la concurrence.

Par exemple, toute action financée par la CVO qui aurait pour effet d’exclure certains producteurs étrangers ou défavoriser des opérateurs au sein du marché intérieur pourrait être attaquée à Bruxelles. L’État français, depuis 2020, a ainsi renforcé ses contrôles d’extension pour éviter toute mesure « protectionniste » ou déloyale qui exposerait la filière à une procédure d’infraction de l’UE (source : DGPE, note technique 2021).

À retenir pour les vignerons : leviers d’action et vigilance collective

Le chemin qui mène à l’obligation d’une CVO n’est ni court, ni mécanique : il est balisé par une série de garde-fous que, trop souvent, nous méconnaissons sur le terrain. Comprendre chaque étape, du vote interprofessionnel à l’arrêté d’extension et à la possibilité de recours légal, permet de ne pas subir, mais d’agir.

  • Vérifiez chaque année la régularité de l’arrêté : le texte est-il bien à jour, l’objet conforme au mandat interprofessionnel ?
  • Exigez de votre interprofession la publication des comptes et des rapports d’utilisation des CVO.
  • Envisagez, le cas échéant, le recours collectif si vous estimez que la contribution excède le mandat légal ou le principe d’égalité.
  • Gardez à l’œil l’évolution des règles européennes : elles influenceront de plus en plus les décisions nationales et locales.

S’organiser pour comprendre ces mécanismes, c’est s’armer pour défendre sa liberté et la soutenabilité de son métier. Plus on sera nombreux à connaître les rouages, plus il sera difficile d’imposer des prélèvements injustifiés ou mal fléchés.

Sources complémentaires :

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