Interprofessions du vin : variations régionales, enjeux locaux

06/10/2025

Une définition, plusieurs visages : qu’est-ce qu’une interprofession viticole ?

Les interprofessions sont des organismes créés pour fédérer les différents métiers d’une filière agricole, ici la vigne : production, négoce, coopératives, voire distribution. Elles sont reconnues par les pouvoirs publics et disposent d’un pouvoir réglementaire, notamment pour la gestion des volumes, la promotion collective et la coordination des différents acteurs (source : INAO).

En France, il existe plus de 20 interprofessions viticoles, variant par leur taille, leur budget et leur mode de gouvernance. Mais entre l’Inter Rhône, le CIVB bordelais, le BIVB bourguignon ou le CIVL languedocien, les différences ne manquent pas, tant sur la répartition des cotisations que sur les orientations stratégiques. Focus sur leurs missions principales, avant de plonger dans les spécificités régionales.

Missions des interprofessions : un socle commun, des applications divergentes

  • Promotion et valorisation : campagnes collectives, participation aux salons, actions à l’export.
  • Gestion de la production : encadrement des rendements, pilotage des stocks, anticipation de crises (gel, grêle…).
  • Défense et protection : actions contre la contrefaçon, protection des appellations, défense auprès des instances nationales et européennes.
  • Recherche et innovation : financement de projets sur les cépages résistants, la viticulture durable, l’oenotourisme.
  • Communication et formation : organisation de formations, publication de guides, interventions auprès des écoles et universités.

Si toutes affichent ces missions, leur mise en pratique quotidienne, la répartition budgétaire et l’implication des professionnels locaux font émerger de fortes divergences d’une région à l’autre.

Des budgets sous tension, symptomatiques des réalités locales

Les interprofessions régionales se distinguent tout d’abord par leur puissance financière. Quelques chiffres :

  • Le CIVB (Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux) affichait en 2022 un budget de plus de 34 millions d’euros, dont 44 % destinés à la promotion (source : Rapport d’activité CIVB 2022).
  • Pour Inter Rhône (Côtes du Rhône et Vallée du Rhône), le budget 2022 dépassait 11 millions d’euros, concentrés pour moitié sur la communication (source : Inter Rhône).
  • Le BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne) fonctionnait sur une enveloppe de 8,7 millions d’euros en 2021, dont 38 % pour la communication et 21 % pour la recherche et développement (source : BIVB).
  • Le CIVL (Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc) tournait autour de 5 millions d’euros annuels (source : CIVL).

Derrière ces chiffres, on observe que certaines interprofessions font le choix de prioriser la recherche (cas du BIVB) ou la sauvegarde des marchés traditionnels (cas du CIVB à Bordeaux), tandis que d’autres privilégient la reconquête de marchés à l’export ou la modernisation de la viticulture (cas du CIVL en Languedoc).

Gouvernance : entre paritarisme théorique et réalités de pouvoir

Sur le papier, chaque interprofession repose sur un principe de représentation paritaire : autant de sièges pour la production que pour le négoce. Pourtant, l’équilibre est plus subtil dans les faits.

  • À Bordeaux, le poids du négoce historique est parfois vécu comme un frein par des vignerons indépendants, qui regrettent une faible prise en compte des réalités économiques de la petite exploitation.
  • En Bourgogne, la structure morcelée de la propriété et la prédominance des domaines familiaux font que les décisions collectives sont parfois longues à émerger, et les arbitrages y sont plus nuancés.
  • Pour Inter Rhône, le dialogue reste sous tension lorsqu’il s’agit de répartir équitablement la valorisation entre coopératives puissantes et producteurs individuels, surtout dans les zones d’appellation village ou de crus.
  • Le CIVL, relativement jeune, tente d’associer davantage les jeunes générations et les vignerons en transition, avec des groupes de travail spécialisés sur la bio et l’innovation.

Ces différences de gouvernance jouent directement sur les priorités établies (investissements, formation, défense des filières), et sur la capacité à réagir en période de crise.

Le poids des spécificités régionales : climat, histoire, identité

Les interprofessions existent aussi en miroir de leur territoire. Les défis, les formes juridiques et même la culture du dialogue y diffèrent, avec un impact immédiat sur leur efficacité.

  • En Champagne : le Comité Champagne (CIVC) est une institution puissante née de l’histoire des crises viticoles du début XX siècle. Ici, un système de régulation extrêmement abouti, un contrôle des plantations et un marketing mondialement reconnu font figure d’exceptions. La gestion des volumes, la qualité et la défense de l’appellation sont au cœur de leur action (source : Comité Champagne).
  • En Alsace : malgré une forte identité régionale et un modèle d’appellation original basé sur la typicité cépage, le CIVA (Conseil Interprofessionnel des Vins d'Alsace) a longtemps souffert d’un manque d’unité entre producteurs et maisons. Aujourd’hui, l’enjeu porte sur la montée en gamme et la lutte contre la banalisation à l’export.
  • En Provence : le CIVP (Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence) capitalise sur la vague rosé mondiale, mais doit aussi gérer la pression foncière et les attentes en termes de développement durable, distinctes de celles, historiques et institutionnelles, de la Champagne, par exemple.

Modalités de cotisation et de redistribution : pas de modèle unique

Le poids des cotisations obligatoires, payées par chaque intervenant, constitue un sujet de débat permanent. Si chaque région utilise ce levier, les méthodes varient :

  • À Bordeaux, la cotisation se calcule selon les volumes mis en marché, ce qui crée parfois un sentiment d’injustice pour des petits producteurs de crus face aux grands faiseurs de vrac.
  • En Bourgogne et au Rhône, elle dépend de l’appellation ou du cru produit, accentuant des inégalités en période de crise ou lors de récoltes faibles.
  • Certaines interprofessions innovent : le CIVL propose des cotisations « à la carte » selon la participation à certains plans de promotion collective.

La redistribution des ressources pose régulièrement question : est-elle équitable ? Les petits exploitants bénéficient-ils autant des actions menées pour la viticulture locale que les grands négociants ? Les débats internes et la pression des « cotisants silencieux » témoignent d’une attente de transparence et d’efficacité.

Relations avec les pouvoirs publics et l’Europe : lobbying ou coopération ?

Les interprofessions jouent un rôle d’interface avec les pouvoirs publics, particulièrement lors des crises sanitaires, climatiques ou économiques. Mais ce rôle varie :

  • À Bordeaux et Champagne, les bureaux interprofessionnels sont reconnus pour leur capacité à faire entendre leur voix à Paris comme à Bruxelles, parfois au détriment d’intérêts strictement locaux.
  • En Languedoc, le CIVL a mené bataille pour la reconnaissance des IGP (Indication Géographique Protégée) dans un contexte historique de surproduction et de crises à répétition.
  • En Alsace, les interprofessions peinent à obtenir des avancées rapides sur les dossiers de reconnaissance de nouveaux terroirs ou de cépages.

Le rôle d’influence, voire de lobbying, de ces organismes est soulevé régulièrement, notamment lorsqu’il s’agit d’allouer des aides, de négocier avec les pouvoirs publics sur la gestion des excédents ou la simplification réglementaire.

Quelques données marquantes et évolutions récentes

  • En 2023, la France comptait plus de 600 structures dites interprofessionnelles, dont moins d’une trentaine dédiées exclusivement à la vigne et au vin (source : FranceAgriMer).
  • 95 % de la production française de vin est couverte par une interprofession régionale ou nationale (source : CNIV).
  • Depuis 2021, plusieurs régions ont lancé des audits de gouvernance participative, notamment Bordeaux et Languedoc, afin de répondre à la défiance croissante des jeunes générations vis-à-vis d’instances jugées opaques ou lointaines par le terrain.
  • Le débat sur le mode de calcul des cotisations refait surface dans le contexte de crise du marché bordelais, où une chute des exportations (-30 % aux États-Unis entre 2019 et 2023, source : Douanes Françaises) oblige à repenser la répartition des efforts collectifs.

Vers de nouveaux modèles, plus démocratiques ?

La montée en puissance des exploitations indépendantes, la volonté d’agir sur l’environnement, l’attente d’une plus grande transparence financière, tout cela pousse les interprofessions à s’adapter ou à se réinventer. Plusieurs régions testent actuellement :

  • Des consultations régulières auprès des adhérents pour définir les priorités d’action, comme en Languedoc et en Bourgogne.
  • Des budgets fléchés explicitement vers des plans d’innovation soutenus par les jeunes producteurs.
  • Des pratiques de reporting annuel public, plus détaillées que l’obligation légale.
  • La mise en place d’ateliers « ouverts » où chaque vigneron, et pas seulement les représentants officiels, peut s’exprimer.

Ce mouvement vers une interprofession plus horizontale, et moins hiérarchique, reste toutefois confronté à des inerties : historiques, économiques, politiques. De nombreux professionnels appellent à faire davantage entendre la voix des exploitants de terrain, en particulier dans les grandes régions de volume.

Chacun défend son terroir : comment agir en tant que vigneron ou vigneronne ?

Comprendre les différences entre les interprofessions est essentiel pour s’y faire entendre et pour peser dans les décisions. Qu’il s’agisse de la répartition des aides, du choix des campagnes marketing, ou de la défense juridique de l’appellation, la connaissance des rouages locaux fait la différence. L’avenir des interprofessions passera par plus de démocratie interne, de clarté et d’ancrage dans la réalité quotidienne du vignoble.

Poursuivre la mobilisation, s’informer et exiger une représentation réelle : c’est le meilleur rempart contre des décisions prises sans ceux qui vivent la vigne au quotidien.

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