Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) : Ce que le droit européen impose vraiment

01/07/2025

Comprendre l’origine des CVO dans le paysage viticole

Depuis leur création dans les années 1970, les Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) se sont imposées dans la vie des vigneronnes et vignerons français. Ces prélèvements, parfois ressentis comme une taxe déguisée, sont destinés à financer les actions collectives des interprofessions (Inter Rhône, CIVB, CIVC, etc.).

Mais qu’il s’agisse de la communication, de la promotion, ou de la défense des intérêts de la filière, ces cotisations continuent de susciter de nombreuses interrogations. Notamment sur leur légitimité et leur conformité au regard des règles européennes, qui s’imposent depuis les années 1990 à toute politique nationale ou interprofessionnelle.

Le cadre juridique européen concernant les CVO

Les CVO dépendent d’un ensemble de textes européens qui jouent un rôle de garde-fou essentiel. Ces textes sont là pour prévenir tout excès, assurer le respect de la libre concurrence et défendre les droits fondamentaux des viticulteurs, notamment la liberté d’association et d’accès équitable au marché. Regardons de plus près ce que prévoit Bruxelles pour encadrer ces prélèvements.

La base réglementaire : Organisation Commune de Marché (OCM) et interprofessions

  • Règlement (UE) n°1308/2013 du 17 décembre 2013, dit « Règlement OCM unique » : il encadre les organisations communes du marché agricole, dont le vin. Son article 157 précise les conditions de reconnaissance des organismes interprofessionnels, base même de l’imposition des CVO.
  • Limitation des missions des interprofessions à :
    • La promotion des produits et des appellations,
    • La recherche et l'innovation technique,
    • La traçabilité et le contrôle de la qualité,
    • La gestion de la production et des stocks.
  • Directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur : elle réaffirme la nécessité que toute contribution obligatoire respecte la liberté d’entreprendre et ne constitue pas une entrave ou une discrimination injustifiée.

Recours et plafonnement : Les limites à ne pas dépasser

Le droit européen impose que toute cotisation obligatoire pour les membres (et, après extension par arrêté, pour tous les opérateurs d’une filière) soit :

  • Non discriminatoire : impossible de cibler certains producteurs ou entreprises de façon arbitraire.
  • Proportionnée à l’intérêt collectif : le montant et la répartition doivent correspondre aux services rendus (voir Arrêt CJUE du 23 avril 2015, C-345/13).
  • Justifiée par des missions répondant à un objectif reconnu d’intérêt général.
  • Encadrée par le contrôle des autorités nationales et européennes, en particulier pour éviter toute distorsion de concurrence (Commission européenne, Communication du 19 octobre 2020, C(2020) 7127 final).

Procédure concrète : Comment une CVO devient-elle légale ?

Il ne suffit pas qu’une interprofession décide d’un montant pour que la cotisation soit imposée. La procédure, pour être valable au niveau européen, doit comporter plusieurs étapes clés :

  1. Accord interprofessionnel : Les partenaires de la filière signent un accord fixant l’objet, le montant et la répartition de la CVO.
  2. Extension ministérielle : L’accord est transmis au Ministère de l’Agriculture, qui peut, sur avis du Conseil National des Interprofessions Agricoles (CNIA), étendre l’accord à tous les opérateurs de la filière.
  3. Notification à la Commission européenne : Cette extension doit être notifiée à Bruxelles, qui peut s’y opposer s’il existe un risque d’atteinte à la concurrence ou à la libre circulation.
  4. Publication au Journal Officiel de l’UE : Les Cotisations deviennent alors légalement exécutoires pour tous (voir article 164 du règlement 1308/2013).

Ces étapes offrent aux viticulteurs des garanties réelles, même si, dans la pratique, le contrôle de proportionnalité et de justification n’est pas toujours à la hauteur de ce que prévoit le texte.

Le contrôle, la surveillance et la contestation : mécanismes européens et leviers de défense

Une vigilance partagée entre États et institutions européennes

La Commission européenne veille à ce qu’aucune CVO ne devienne un prétexte pour entraver la concurrence. Elle dispose de plusieurs leviers :

  • Demande régulière de comptes au Ministère sur la répartition des fonds collectés (voir page Commission européenne – secteur vin)
  • Droit d’ouvrir une procédure de manquement si une CVO semble favoriser indûment certains acteurs ou entraver le marché intérieur (plusieurs mises en demeure ont eu lieu en Espagne, Italie, Portugal entre 2010 et 2020, selon Viti Leaders).
  • Obligation pour les interprofessions de publier un rapport détaillé sur l’utilisation des CVO, consultable par tout opérateur.

Des chiffres sur la collecte : pesées et anomalies

Selon le rapport du Conseil des Vins de Bordeaux (CIVB), entre 2019 et 2022, plus de 54 millions d’euros de CVO ont été collectés annuellement sur le seul vignoble bordelais (source : La Vigne Mag, 2023). Ces chiffres mettent en lumière l’enjeu économique majeur derrière la surveillance du dispositif.

Une enquête menée dans le Languedoc (Sud-Ouest Viticole, 2021) a mis en avant une disparité de plus de 20 % entre les sommes déclarées comme collectées et celles effectivement utilisées pour la promotion collective, le reste étant absorbé par les frais de gestion ou des actions périphériques peu transparentes.

Que faire en cas de doute sur la légalité d’une CVO ?

  • Demander à accéder au rapport d’activité de l’interprofession.
  • Vérifier la conformité de l’extension au niveau du Journal Officiel de l’UE.
  • Saisir le tribunal administratif, seul compétent en la matière : le Conseil d’État a rappelé dans sa décision du 26 juin 2019 (n°414170, CIVC) que tout opérateur peut contester le bien-fondé d’une CVO devant la justice.
  • Solliciter l’avis de la Commission européenne ou alerter une association professionnelle pour demander un contrôle du dispositif.

Le débat actuel : le point de vue européen sur les CVO face aux défis du marché

La remise en question du système des CVO s’intensifie depuis la crise Covid-19 et la mutation des marchés mondiaux. La Commission européenne a été alertée à plusieurs reprises sur les risques de voir ces cotisations créer des distorsions, notamment lorsqu’elles financent des campagnes nationales de “préférence locale” jugées contraires à l’esprit du marché unique.

De plus, le rapport Giraud (Parlement européen, 2022) pointe des besoins accrus de transparence et d’engagement des viticulteurs dans la gouvernance des fonds collectés, et suggère un renforcement du contrôle démocratique dans la gestion : « Les producteurs doivent mieux savoir comment leur argent est utilisé et disposer de leviers pour s’y opposer si nécessaire. »

À l’heure où, dans plusieurs régions, certains groupes demandent à sortir de leur interprofession ou à réformer en profondeur la mécanique des CVO, il est clair que le pilotage doit davantage passer par des outils de concertation et une information claire, portée jusque dans la base des exploitations.

Outils concrets pour comprendre et agir

  • Consultez systématiquement les extensions des accords interprofessionnels : le texte est publié ici : Légifrance ou sur Eur-Lex.
  • Demandez des comptes-rendus ou des audits internes auprès de votre interprofession.
  • Appuyez-vous sur les guides du CNIV et de la DGCCRF pour mieux cerner vos droits (consultables sur le site du Ministère de l’Agriculture).
  • Organisez-vous au niveau local pour peser sur les décisions : la Commission européenne soutient la représentation équitable au sein des interprofessions (voir Ministère de l’Agriculture).

Perspectives Européennes et vigilance de la profession

Le système des CVO n’est ni à l’abri du contrôle citoyen ni intouchable. À l’heure où la filière viticole française est soumise à des pressions économiques sans précédent et à de profondes mutations réglementaires, comprendre ces mécanismes européens est devenu une nécessité. Ils constituent un rempart contre l’arbitraire aussi bien qu’un aiguillon pour plus de transparence et de démocratie. La vigilance collective et l’usage des voies de recours font partie du jeu : à chacun de s’informer, de questionner et de demander des comptes sur l’utilisation des fonds perçus en son nom.

La prochaine étape appartient donc tant à l'Europe qu'aux viticulteurs eux-mêmes, pour garantir un système plus équitable, mieux surveillé et réellement au service des premiers concernés : celles et ceux qui vivent de la vigne et qui la font avancer.

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