Contestations judiciaires des CVO : décryptage d’un sujet brûlant pour la filière viticole

05/07/2025

Qu’est-ce que les CVO ? Contexte et origines

Pour beaucoup dans la filière, les CVO – Cotisations Volontaires Obligatoires – sont à la fois incontournables et mal comprises. Instituées dans le cadre interprofessionnel agricole, elles visent à financer des actions collectives pour les filières. En viticulture, elles concernent près de 500 000 exploitations et entreprises selon la CNAOC (source : FranceAgriMer, rapport 2022). Leur principe ? Donner à une interprofession la capacité de prélever sur chaque acteur un montant forfaitaire ou proportionnel à la production ou à la commercialisation, afin de dynamiser la filière : promotion, recherche, défense des appellations, etc.

Mais derrière la dénomination paradoxale "volontaire obligatoire", se cache un mécanisme complexe, où le consentement individuel laisse place à une décision majoritaire appliquée à tous. Ce principe a longtemps fait grincer des dents. Reste alors une question : ce prélèvement collectif a-t-il déjà fait l’objet de recours en justice, et avec quels enseignements ?

Les CVO à l’épreuve des tribunaux : historique des grands contentieux

La première vague de contestation sérieuse des CVO remonte à la fin des années 1980. À cette époque, plusieurs viticulteurs du Languedoc expriment leur exaspération devant la montée des cotisations, sans possibilité réelle de contrôle ou d’opposition. Le « regroupement pour la liberté des producteurs », monté en 1988, initie alors des démarches auprès des tribunaux administratifs – une première. Mais le contexte politique de soutien à l’Union des Syndicats a initialement freiné la médiatisation nationale.

Ce n’est que dans les années 2000 que ces recours se structurent, suite à plusieurs arrêts du Conseil d’État. Les plaignants s’appuient sur deux critiques majeures :

  • Le manque de transparence sur l’utilisation des fonds collectés
  • L’absence de choix individuel face à une cotisation "volontaire" mais imposée
Le point de bascule médiatique intervient en 2005, lorsqu’un collectif du Beaujolais, soutenu par une association de défense des indépendants du vin, publie dans la presse (Le Point, 2005) la preuve de sa saisine du Conseil d’État.

Fondements juridiques des recours : que contestent réellement les plaignants ?

Les recours contre les CVO s’articulent autour de plusieurs points de droit :

  • Légalité du prélèvement : Les plaignants arguent que, bien que fondées par la loi du 10 juillet 1975 (création des interprofessions), les CVO peuvent être assimilées à un impôt déguisé et requièrent, de ce fait, un encadrement strict.
  • Absence de consentement individuel : Ils estiment que la généralisation d’une décision interprofessionnelle à tous viole la liberté d’association et le principe de libre concurrence, notamment au regard du droit européen.
  • Utilisation des fonds : Manière dont les sommes sont dépensées (promotion, publicité collective…) et absence de contrôle réel par les cotisants. Certains dénoncent l’utilisation d’une partie des CVO pour financer des campagnes qui, selon eux, ne profitent pas à tous.
  • Proportionnalité et transparence : Les montants prélevés, leur mode de calcul, leur adaptation à la réalité économique des exploitations sont aussi pointés du doigt.

Quelques dates et décisions clés

Le sujet n’est pas anecdotique. Depuis 2000, plusieurs jurisprudences ont fixé le cadre du débat :

  1. Conseil d’État, 7 décembre 2001 : Arrêt sur la légalité du mode de collecte des CVO pour la filière laitière, mais qui influencera la viticulture. Le Conseil d’État réaffirme que le financement interprofessionnel n’est pas un impôt illégal, à condition que les actions restent dans le strict intérêt collectif de la filière (source : Conseil d’État, n°221134).
  2. Cour de justice de l’Union européenne, 13 juin 2002 (affaire 388/00) : Jugement sur la compatibilité des CVO avec le droit de la concurrence européen. Si le principe est admis, les actions financées doivent clairement bénéficier à tous, sans distorsion de concurrence (source : Curia.europa.eu).
  3. Cour administrative d’appel de Bordeaux, 16 avril 2013 (n°11BX01275) : Le recours d’un producteur de Cognac met en cause la transparence de l’usage des CVO. La Cour considère que les prélèvements sont valides, car leur encadrement est jugé suffisant.
  4. Cour d’Appel de Dijon, arrêt du 21 septembre 2017 : Plusieurs viticulteurs bourguignons remettent en question la légalité des appels à CVO de l’interprofession BIVB. Décision défavorable aux plaignants, le tribunal estimant que les recours individuels ne sauraient remettre en cause un accord étendu d’interprofession validé par arrêté ministériel.

Des contestations qui marquent une prise de conscience

Un élément significatif : sur 30 000 exploitations concernées par les CVO dans le Bordelais selon la CIVB (source : rapport DRAAF Nouvelle-Aquitaine 2023), moins de cent recours individuels ont été déposés ces dix dernières années devant la justice administrative. Les interprofessions, il faut le noter, ont perfectionné leurs dispositifs de transparence sur l’utilisation des fonds, publiant désormais systématiquement des rapports détaillés (ex : publications annuelles du CIVB).

Néanmoins, des collectifs, comme la Coordination Rurale ou l’Association des Vignerons Authentiques, estiment que la majorité des viticulteurs paient toujours la CVO par peur de représailles commerciales ou administratives. L’effet dissuasif des procédures longues et la méconnaissance des modalités de contestation expliquent la rareté des décisions retentissantes.

Quels enseignements pour le terrain ? Les leçons des recours

Malgré le faible nombre de victoires judiciaires des opposants, ces mobilisations ont provoqué plusieurs avancées concrètes :

  • Renforcement de l’obligation de transparence des interprofessions : publication de comptes annuels, consultation des adhérents.
  • Limitation de l’usage des CVO à certaines missions strictement définies (recherche, défense de l’appellation, promotion collective à l’étranger).
  • Rappel du droit à l’information des cotisants sur le montant, l’utilisation et les motifs des appels de cotisations.
  • Clarification de l’implication de l’État et du ministère de l’Agriculture comme garants de la légalité des arrêtés d’extension de l’accord interprofessionnel à tous les acteurs.

Pour tout vigneron souhaitant entamer une démarche de contestation, le Conseil d’État a également précisé les voies de recours possibles : recours administratif préalable devant l’interprofession, puis contentieux devant le tribunal administratif dans un délai de deux mois après réception de l’appel à cotisation (Source : service-public.fr).

CVO : un dialogue encore à construire au sein de la filière

Si les grandes batailles judiciaires contre les CVO n’ont pas infléchi leur existence ni leur principe, elles ont imposé une culture du contrôle – et, peu à peu, de la transparence. La jurisprudence a tranché : la légalité des CVO dépend du respect strict des missions définies et de la consultation réelle des acteurs concernés. Deux défis demeurent pour les professionnels :

  • Dépasser le sentiment fréquent d’opacité ou d’injustice dans l’usage des fonds
  • Renforcer les capacités d’expression directe des vignerons au sein des interprofessions, outils incontournables mais encore trop distants du terrain

Le sujet reste donc un terrain de mobilisation, de veille et de formation collective. Que l’on soit favorable ou critique, les recours, même minoritaires, servent à questionner la gouvernance de la filière et aident – paradoxalement – à protéger le modèle coopératif lui-même. La prochaine décennie pourrait voir, dans un contexte de crise agricole, de nouvelles formes de contestation émerger ou, à l’inverse, un resserrement autour d’intérêts communs. Reste à saisir tous les outils à disposition pour faire entendre sa voix sur ces prélèvements collectifs qui dessinent, chaque année, l’avenir de la viticulture.

Pour aller plus loin : quelques références utiles

  • Conseil d’État, arrêts du 7.12.2001 (n°221134) et du 22.12.2006 (n°280796) ;
  • CIVB, "Rapport annuel 2023" : chiffres sur la filière Bordelaise et transparence des CVO ;
  • FranceAgriMer, "Bilan des interprofessions agricoles 2022" ;
  • Curia.europa.eu, arrêt CJUE du 13.06.2002 (affaire 388/00) ;
  • Consultables sur service-public.fr : les modalités de recours contre les délibérations interprofessionnelles ;
  • DRAAF Nouvelle-Aquitaine, "Panorama de la viticulture 2023".

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