Comprendre le véritable ancrage légal des CVO dans le Code rural et de la pêche maritime

28/06/2025

Pourquoi parler du lien entre CVO et Code rural ?

Face à la pression fiscale croissante, l'empilement réglementaire et la multiplication des prélèvements sur la filière viticole, la question du fondement juridique des CVO (Cotisations Volontaires Obligatoires) revient avec force dans toutes les discussions de terrain. Bien plus qu’une simple formalité, comprendre ce lien est une condition essentielle pour défendre nos exploitations, maîtriser nos engagements et, si besoin, contester ce qui doit l’être.

Les CVO : définition, contexte et rôle dans la filière

Les CVO, ou Cotisations Volontaires Obligatoires, n'ont de « volontaire » que le nom. Instaurées dans les années 1970, ces charges collectées par les interprofessions financent notamment la promotion, la recherche ou la défense des produits (source : INAO). Dans le vin, la CVO est devenue un point de tension majeur, alimentant le sentiment d’incompréhension des exploitants confrontés à une contribution quasi-incompressible.

  • 109,8 millions d'euros : montant des CVO collectées en 2022 sur la seule filière vins et spiritueux (source : rapport FranceAgriMer).
  • Prélevées à chaque étape du circuit (producteur, négociant, expéditeur), leur assiette et leur taux varient selon les productions et les régions.
  • Ces fonds bénéficient en grande partie à la communication collective, à la recherche, à la lutte contre la contrefaçon et aux actions politiques défendant la filière.

Mais la légitimité de ces prélèvements, leur mode de calcul et surtout leur base légale font l’objet de nombreuses interrogations – d’où l’importance de cerner le rôle réel du Code rural et de la pêche maritime.

CVO : où le Code rural et de la pêche maritime entre-t-il en jeu ?

Le pivot juridique se trouve dans le livre VI du Code rural et de la pêche maritime, en particulier les articles L632-1 à L632-6 (source : Légifrance). Ces textes constituent le socle des accords interprofessionnels étendus, qui permettent à une organisation interprofessionnelle (comme le CIVB ou le CNIV) d’imposer une cotisation à l’ensemble des acteurs d’une filière donnée – y compris ceux qui n’en sont pas membres.

  • Article L632-6 : permet à une interprofession d'étendre à toute la filière des accords concernant, entre autres, le financement d’actions collectives, sous réserve de validation par arrêté ministériel.
  • Article L632-3 : précise que le financement des actions de l’interprofession peut être assuré par des contributions obligatoires versées par tous les membres de la filière concernés par l’accord.

Le Code rural ne pose donc pas uniquement le principe de la CVO, il encadre strictement :

  • Le champ d’application (limité à la filière concernée)
  • La procédure d’extension (nécessairement validée par les pouvoirs publics)
  • Le contrôle et la publicité des accords
  • La possibilité de recours pour les opérateurs concernés

Procédure en 3 temps

  1. L’interprofession propose un accord incluant le principe et le montant d’une CVO pour financer, par exemple, la promotion à l’export.
  2. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) instruit la demande.
  3. Un arrêté ministériel (BO Agri) officialise l’extension, rendant la CVO exigible par tous les opérateurs du secteur, adhérents ou non de l’interprofession.

Points de vigilance et zones de tensions sur la légalité

Plus le poids économique d’une CVO grimpe, plus l’examen de son conformité avec le Code rural devient crucial. Plusieurs jurisprudences récentes (Cour administrative d’appel de Bordeaux, janvier 2024 ; Conseil d’État, 2020) pointent des défaillances de procédure :

  • Défaut de transparence sur l’utilisation réelle des fonds
  • Recours à des objets éloignés de l’intérêt général de la filière
  • Absence ou carence d’information auprès des opérateurs “non-adhérents”

Les cas du CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) et du Comité Champagne l’ont illustré récemment avec une multiplication de recours collectifs et d’actions contentieuses devant les juridictions administratives (source : La Vigne, novembre 2023).

De la légalité à la légitimité : la parole aux exploitants

Dans les faits, pour beaucoup de vignerons, la distinction est nette entre :

  • La légalité : oui, le Code rural autorise une CVO si les critères sont remplis.
  • La légitimité : bien des projets financés ne reflètent plus les priorités de terrain, ni l’intérêt de tous les opérateurs.

Autrement dit, le Code rural et de la pêche maritime garantit le cadre, mais ne dispense aucunement de la vigilance continue des cotisants. Sans contrôle ni dialogue, l'écart entre obligations juridiques et attentes de la base ne fait que se creuser.

Quels recours et marges d’action pour les professionnels concernés ?

Le Code rural prévoit différentes voies pour ceux qui estiment la CVO abusive ou mal employée :

  • Recours gracieux : Demande d’annulation ou de modification devant l’interprofession elle-même.
  • Recours hiérarchique : Saisine de l’administration (préfecture, ou ministère de l’Agriculture).
  • Recours contentieux : Saisine du tribunal administratif pour contester la légalité de l’arrêté d’extension ou d’une décision individuelle relative à la CVO.
  • Action collective : Regroupement d’opérateurs pour monter un dossier argumenté, facilité notamment par la jurisprudence récente en faveur des groupements de requérants.

Les délais sont souvent courts et la procédure demande une bonne maîtrise du calendrier fixé par la loi (droit de recours de deux mois à compter de la publication de l’arrêté, par exemple).

À retenir : la perte pour la filière viticole de la jurisprudence Sté Château Valandraud en 2015 (Conseil d’État) a rappelé que toute CVO non notifiée à Bruxelles peut être considérée comme une aide d’État illicite, ouvrant droit à remboursement sur réclamation : une opportunité rarement exploitée par les vignerons mal informés.

La CVO et l’Europe : articulation avec le droit européen

Le Code rural ne s’applique pas dans un vide. En matière de finances collectives, chaque CVO doit être examinée à l’aune du droit européen (article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). La France a été plusieurs fois rappelée à l’ordre pour des extensions qui avaient pour effet d’avantager certains opérateurs – rendant impératif le respect d’une publicité intégrale de l’arrêté français… sur les sites de l’Union européenne (source : Commission européenne).

Enjeux pour la filière et pistes d’évolution

La concentration des CVO et la critique récurrente de leur opacité suscitent des appels multiples à :

  • Réaffecter les fonds vers la transition agricole, la recherche d’alternatives phytosanitaires ou le soutien direct à la commercialisation.
  • Réviser les accords, en sollicitant, par voie de consultation, une vraie participation des exploitants cotisants – et non plus seuls les grands opérateurs.
  • Renforcer la traçabilité et la transparence dans l’utilisation et l’attribution des sommes collectées.

Des initiatives locales, comme à Gaillac ou en Alsace, montrent que la pression des vignerons finit par obtenir des baisses de CVO ou des adaptations ciblées (source : Terres de Vins, mars 2024).

Pour aller plus loin : rester acteur, pas spectateur

Le lien entre CVO et Code rural n’est pas une simple formalité réglementaire ; c’est une question de rapport de force, de clarté dans la gestion collective et de respect des attentes du terrain. Rester informé, lire chaque arrêté, comprendre les droits de recours, participer aux consultations locales : autant de leviers pour peser sur le système et s’assurer que l’argent de la filière profite à ceux qui la travaillent. Sur ce sujet, la vigilance collective reste notre outil principal. La légalité des CVO est encadrée. Leur légitimité, elle, ne dépend que de notre capacité à nous organiser et à faire entendre nos besoins.

Sources complémentaires :

  • Code rural et de la pêche maritime (Légifrance.fr)
  • INAO : Principes des interprofessions
  • FranceAgriMer : Rapport 2022 sur la gestion collective en viticulture
  • Conseil d’État, décisions 2015, 2020
  • « La Vigne », « Terres de Vins »—publications spécialisées
  • Commission européenne : Notification des aides d’État

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