Interprofessions, CVO : sous quels regards l’État surveille-t-il la filière viticole ?

13/08/2025

Le cœur du sujet : de quelles « surveillances » l’État est-il réellement le garant ?

Chacun dans la vigne l’a déjà entendu : « l’interprofession décide », « la CVO est obligatoire, les contrôles sont stricts », « l’État a validé ». Mais derrière ces affirmations, la réalité du contrôle exercé par l’État sur les interprofessions viticoles et la Cotisation Volontaire Obligatoire (CVO) reste floue pour beaucoup. Où s’arrêtent les marges de manœuvre de nos représentants ? Qui veille à la légalité des prélèvements ? Existe-t-il une vraie transparence financière ? À l’heure où près de 300 millions d’euros transitent chaque année via les interprofessions du vin français (source : rapport FranceAgriMer 2022), ces questions sont tout sauf accessoires.

Les interprofessions viticoles et la CVO : rappels essentiels

Pour comprendre ce que contrôle l’État – ou pas –, il faut revenir aux bases. Les interprofessions, telles que le CIVB (Bordeaux), l’Inter Rhône (Vallée du Rhône), ou le CIVL (Languedoc), sont des structures qui fédèrent, au sein d’une même région ou filière, les différents métiers du secteur : producteurs, négociants, coopératives. Leur objectif affiché ? « Défendre les intérêts communs », « promouvoir le produit », « organiser la filière ».

Pour financer ces missions, ces organismes peuvent percevoir une cotisation dite « volontaire-obligatoire » (CVO), dont les montants varient grandement d’une région à l’autre : de 4 à plus de 15€/hl sur le négoce, rarement plus de 3€/hl côté production. Cette particularité française est encadrée par la loi du 10 juillet 1975 dite « loi sur les interprofessions agricoles » (modifiée depuis, codifiée dans le Code Rural).

Dans les faits, plus de 90% des viticulteurs et entreprises viticoles sont assujettis à au moins une CVO. Ces ressources, en pleine croissance, représentent un enjeu vital autant pour la filière que pour les équilibres locaux.

L’État, un arbitre dès la création et l’agrément des interprofessions

C’est une certitude administrative : n’importe quelle interprofession ne peut prélever de cotisation, ni agir au nom de la totalité d’une filière, sans agrément de l’État. Cet agrément est officialisé par arrêté ministériel, publié au Journal Officiel. Il sanctionne :

  • La représentativité de la structure (nombre d’adhérents, représentativité des familles professionnelles…)
  • La conformité des statuts avec la loi et les objectifs d’intérêt général sectoriel

Sans cet agrément, la CVO n’a aucune existence légale. Si un syndicat local tente de prélever une CVO sans passer par ce sas ministériel, il s’expose, ainsi que les adhérents, à des sanctions pénales et financières.

La validation des accords interprofessionnels : procédures et limites

Chaque décision d’instaurer une CVO ou d’en modifier le montant, chaque programme d’action collectif, doit faire l’objet d’un « accord interprofessionnel ». Ces accords sont transmis aux ministères de l’Agriculture et de l’Économie, pour homologation.

  • L’État vérifie leur conformité à la loi (égalité des charges, transparence, absence de distorsion de concurrence, etc.)
  • L’homologation s’accompagne d’une publication au Journal Officiel
  • Une durée maximale (5 ans sauf exception) est systématiquement imposée

Toutefois, l’État ne se prononce, en théorie, que sur la forme (respect du droit, proportionnalité, objet d’intérêt général), rarement sur le fond (pertinence des actions financées, choix stratégiques).

Contrôle sur la collecte et l’utilisation des fonds : l’État garant de la légalité, pas du détail

La loi exige des interprofessions qu’elles tiennent une comptabilité distincte, et déposent chaque année leur bilan financier à la préfecture et aux ministères de tutelle. Un commissaire aux comptes contrôle ces comptes (art. L632-6 Code Rural).

Les points de vigilance de l’État portent sur :

  • L’affectation des fonds pour des missions collectives strictement définies (promotion, recherche, statistiques...)
  • L’équilibre budgétaire
  • L’absence de détournement des fonds à des fins politiques ou commerciales particulières

Cependant, l’administration centrale (FranceAgriMer, Directions Régionales de l’Agriculture) n’effectue pas de contrôle systématique in situ. Le commissaire aux comptes a une mission technique (respect des règles comptables, pas analyse d’opportunité).

À titre d’exemple, dans une expertise datant de 2018, la Cour des comptes a pointé le faible nombre de contrôles aléatoires ou sectoriels réalisés sur place, la plupart étant fondés sur l’étude à distance des documents transmis. Cette limite, déjà soulignée pour d’autres filières agricoles (source : Cour des Comptes, rapport public 2018), est régulièrement critiquée par les professionnels, qui déplorent des « contrôles virtuels » et l'absence de réel audit d’utilité ou de coût-efficacité.

Recours et contestations : quels outils pour les acteurs de la filière ?

Le contrôle de l’État ne supprime pas les marges de manœuvre ni les risques de contestation. Toute CVO jugée excessive, mal affectée ou non-conforme à la loi peut faire l’objet d’un recours.

  • Le contentieux de la CVO (demande d’annulation d’un prélèvement ou d’un accord interprofessionnel homologué) ressortit au tribunal administratif. Des producteurs ou entreprises peuvent demander réparation, voire remboursement, en cas de non-conformité prouvée.
  • Plusieurs affaires célèbres ont eu pour origine des contentieux sur l’usage des CVO pour des actions perçues comme « déséquilibrées » (ex : promotion favorisant une catégorie de vins, non-respect de la parité interprofessionnelle...)

Mais ces recours sont longs et rarement engagés individuellement, vu le poids financier d’un procès administratif. Certains syndicats ou collectifs professionnels contestent parfois les hausses ou les modalités d’exonération devant le Conseil d’État, mais les annulations restent rares.

Qui surveille l’État ? Insuffisances et interrogations sur la régulation

Malgré un socle législatif solide, plusieurs limites du contrôle public ont été relevées :

  • L’homologation ministérielle repose sur la confiance et la représentativité affichée (celle-ci est rarement vérifiée au-delà des chiffres d’adhésion des principaux syndicats ou fédérations)
  • L’analyse des comptes n’intègre pas de véritable audit d’efficacité (la question de savoir si les fonds servent réellement la majorité de la filière reste donc sans réponse officielle)
  • Peu de sanctions effectives en cas de manquement (quelques rappels à l’ordre, très rares suspensions d’agréments, pas de sanctions pécuniaires connues)

Plusieurs rapports (Cour des comptes 2018, Sénat 2021) ont également signalé la relative opacité, pour les simples cotisants, sur le détail des dépenses interprofessionnelles et l’impossibilité d’obtenir sans frais certaines informations précises. La pression pour renforcer les outils de contrôle monte, notamment via la réforme annoncée en 2023 au sujet de la gouvernance des interprofessions agricoles (source : Sénat, audition du 19 avril 2023).

Quelles pistes pour rééquilibrer les pouvoirs et renforcer la transparence ?

Pour nombre d’observateurs et de membres de la filière, il est aujourd’hui indispensable d’ouvrir de nouveaux chantiers :

  • Renforcer l’audit indépendant (désignation de tiers extérieurs à la filière pour contrôler les budgets d’interprofession)
  • Publier, de façon accessible à tout cotisant, le détail des affectations budgétaires (hors limites de confidentialité commerciale)
  • Mettre en place un « contrôle citoyen » (commission de vignerons, non membres des directions, avec un droit de regard effectif sur les CVO)
  • Créer des voies de recours plus aisées et moins coûteuses pour les contestations individuelles de CVO
  • Porter la question au niveau européen (la CVO étant encadrée par le droit communautaire et soumise à l’analyse de la concurrence loyale)

L’enjeu est de taille : la légitimité des CVO et l’efficacité collective des interprofessions restent étroitement liées à la confiance des femmes et des hommes de la vigne. La vigilance de l’État, pour être crédible, doit s’incarner dans des procédures claires, des contrôles effectifs, et une transparence totale envers ceux qui financent la filière.

Pour avancer : au-delà du contrôle, la reconquête de la parole viticole

Le contrôle étatique, qu’il soit juridique, financier ou administratif, reste un outil : il n’apporte pas à lui seul la cohésion, ni la légitimité nécessaire aux grandes décisions collectives. L’exigence de transparence, de représentativité réelle, d’audits réguliers et de débats sur l’usage des fonds collectifs doit demeurer une priorité.

À l’heure où la filière viticole affronte des défis inédits — crise de débouchés, surproduction, adaptation aux exigences environnementales —, il est plus crucial que jamais que l’État ne soit pas seulement un « valideur » lointain, mais un véritable garant d’équité, au plus près du terrain. Et que chaque voix de la vigne puisse peser, plus que jamais, dans la construction de la filière de demain.

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